En moins de cinq mois, Nathalie Normandeau passe de vice-première ministre et responsable du Plan Nord à vice-présidente au développement stratégique de Raymond Chabot Grant Thornton.

Elle pourrait alors conseiller les entreprises qui voudront  profiter du «chantier d'une génération» qu'elle a mis en place.

Mais elle ne viole pas les codes sur le lobbyisme ou l'éthique, a assuré son nouvel employeur par voie de communiqué. «Contrairement à ce qui a été dit depuis hier par certains médias, Mme Normandeau n'aura aucun mandat spécifique lié au Plan Nord», y écrit-on.

Elle agira néanmoins comme «conseillère auprès de clients évoluant dans des secteurs économiques variés», indique-t-on. On ne nie pas que certains pourront être des minières. «Il va de soi que mes connaissances de l'appareil gouvernemental et des régions du Québec, de leurs particularités et de leurs enjeux économiques et politiques, profiteront aux clients des quatre coins du réseau de Raymond Chabot Grant Thornton», se félicite l'ancienne ministre des Ressources naturelles.

Elle entrera en fonction en mai. Deux cadres régissent le passage d'un ministre au privé: la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme ainsi que le nouveau Code d'éthique et de déontologie.

La porte-parole du Commissaire au lobbyisme, Louise-Andrée Moisan, confirme que Mme Normandeau respecte la loi. «Selon les informations qu'elle nous a transmis, son travail ne contreviendra pas à notre Code», dit-elle.

Il n'est pas possible de connaître la définition précise des fonctions que Mme Normandeau a transmises au commissaire.

Comme le veut la procédure, dès qu'un titulaire de charges publiques quitte ses fonctions, il reçoit une lettre du Commissaire au lobbying. On lui rappelle les règles de la Loi sur le lobbyisme. Une telle lettre a été envoyée à Mme Normandeau peu après sa démission en septembre.

Cette loi énonce entre autres que :

Nul ne peut, s'il a été titulaire d'une charge publique pendant au moins un an au cours des deux années qui ont précédé la date où il a cessé d'être titulaire d'une telle charge, exercer à titre de lobbyiste-conseil des activités de lobbyisme auprès d'un titulaire d'une charge publique.

Nul ne peut exercer des activités de lobbyisme auprès d'un titulaire d'une charge publique exerçant ses fonctions au sein de la même institution parlementaire, gouvernementale ou municipale que celle dans laquelle il a lui-même été titulaire d'une charge publique au cours de l'année qui a précédé la date où il a cessé de l'être ou au sein d'une telle institution avec laquelle il a eu, au cours de cette année, des rapports officiels, directs et importants.

Nul ne peut, dans l'exercice de ses activités de lobbyisme, tirer un avantage indu d'une charge publique dont il a antérieurement été titulaire, ni agir relativement à une procédure, une négociation ou une autre opération particulière à laquelle il a participé dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de cette charge.

Nul ne peut, dans l'exercice de ses activités de lobbyisme, divulguer des renseignements confidentiels dont il a pris connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice d'une charge publique dont il a antérieurement été titulaire, ni donner à quiconque des conseils fondés sur des renseignements non accessibles au public dont il a ainsi pris connaissance et qui concernent soit l'institution parlementaire, gouvernementale ou municipale dans laquelle il exerçait sa charge, soit un tiers avec lequel il a eu des rapports directs et importants au cours de l'année précédant la date où il a cessé d'être titulaire d'une charge publique au sein de cette institution.

Quant au nouveau Code sur l'éthique et la déontologie, il interdit aussi à un ancien élu de «tirer des avantages indus de ses fonctions antérieures » et de divulguer des informations confidentielles (article 46 à 49). Les articles qui concernent Mme Normandeau ne s'appliquent qu'aux députés qui siégeaient le 1er janvier 2012.

«Son cas ne relève donc pas de mon autorité», confirme le commissaire, Jacques Saint-Laurent.

Avant le code, les ministres devaient plutôt se conformer aux règles d'après-mandat (LIEN PDF). Ces règles étaient définies et appliquées par le premier ministre lui-même. C'est entre autres pour cela qu'un poste indépendant de commissaire au lobbyisme a été créé.

Ces règles, énoncées en 2003 ressemblent à celle du nouveau Code. Elles énoncent qu'un ancien ministre ne peut dévoiler des informations confidentielles ou tirer d'avantages indus de ses anciennes fonctions ministérielles. «Chaque ministre s'est engagé à respecter ces règles», assure Hugo D'Amours, attaché de presse du premier ministre.

«Dans le communiqué, il est clairement indiqué qu'elle n'aura pas de mandat relié au Plan Nord. Raymond Chabot Grant Thornton et Mme Normandeau connaissent les contraintes du Code d'éthique et du Code sur le lobbyisme. C'est une femme intègre, on n'a pas de doute qu'elle va les respecter», ajoute M. D'Amours.

L'opposition fulmine

Les explications de Mme Normandeau ne convainquent pas l'opposition. «Lors de sa démission, elle dénonçait le cynisme. Et quatre mois plus tard, elle devient vice-présidente d'une grosse firme. Ce n'est pas une comptable ou une avocate. Si on l'engage, c'est à cause de son carnet d'adresses. On veut son trousseau de clés pour ouvrir toute une série de portes à des entreprises du secteur minier et des ressources naturelles. Ça nous apparaît plutôt gros», dit le leader parlementaire adjoint du PQ, Bertrand Saint-Arnaud.

Mme Normandeau détient un baccalauréat en sciences politiques et un certificat en études africaines de l'Université Laval. Elle a reçu une prime de départ d'environ 150 000$ après sa démission. «Je comprends qu'elle a le droit de gagner sa vie. Mais lui demander de se tenir loin de ce genre de travail durant deux ans, ce n'est pas trop, il me semble», ajoute-t-il.

Le nouveau caquiste Éric Caire va soumettre le cas au commissaire à l'éthique. «Même si Mme Normandeau n'est pas assujettie au code, on peut demander au commissaire si un cas semblable y contrevient. On peut lui poser une question théorique. C'est important, car Mme Normandeau a fait adopter ce code en tant que vice-première ministre. Et selon nous, elle le viole», lance-t-il.

Même si le Plan Nord ne relève pas techniquement du mandat de Mme Normandeau, et même si elle n'agira pas à titre de lobbyiste, reste qu'il lui sera possible d'utiliser des informations « sensibles » obtenues dans différents ministères pour le bénéfice de minières et autres clients potentiels. Mme Normandeau s'est engagée à ne pas le faire. «Il ne faut pas être naïf», réagit M. Caire. Il se défend de présumer de la mauvaise foi de l'ex-vice première ministre. «Il y aura toujours ce doute qui va planer au-dessus du Plan Nord quand un contrat sera octroyé», pense-t-il.