En 2010, qui se souciait de François Legault? Qui aurait pu dire alors qu'il deviendrait, en cette fin de 2011, l'homme politique le plus populaire au Québec, faisant trembler Jean Charest et Pauline Marois?

C'est pourtant ce qu'a réussi à faire en un temps record celui qui est devenu en novembre le chef de la nouvelle Coalition avenir Québec (CAQ), le véhicule que François Legault a créé à son image pour le conduire tout droit, et à toute vitesse, vers le cabinet du premier ministre au parlement de Québec.

M. Legault est persuadé que le premier ministre Charest déclenchera des élections générales dès ce printemps. Et il dit qu'il sera fin prêt à faire campagne et à prendre le pouvoir, et ce, même s'il y a à peine quelques mois on ne savait toujours pas s'il allait créer un parti.

Il aura donc beaucoup à faire au cours des prochains mois et les obstacles sur sa route risquent d'être nombreux.

Car en 2011, M. Legault a eu la partie facile, trônant au sommet des sondages après avoir énuméré quelques idées et priorités, sans avoir été confronté aux réalités parfois dures de la joute partisane.

Il est conscient que l'année 2012 s'annonce plus éprouvante que la précédente. Il sera l'adversaire à abattre et il le sait.

Le tir groupé des libéraux, péquistes, centrales syndicales et autres «tenants du statu quo» ne se fera pas attendre, selon lui.

«Je le dis continuellement aux gens autour de moi: ce ne sera pas toujours facile», a confié celui qui s'applique à rester «humble» malgré son statut de premier de classe, lors d'une récente entrevue à La Presse Canadienne.

Il se méfie surtout des libéraux de Jean Charest: «Je continue à avoir une certaine inquiétude, surtout avec l'argent qu'ils ont dans leur compte de banque, d'avoir une campagne publicitaire des libéraux au cours des prochains mois qui va essayer de démoniser nos propositions.»

Il sait aussi que l'humeur des électeurs peut varier. «C'est volatile l'appui de la population», commente M. Legault, s'appliquant à rester serein si jamais son étoile se met à pâlir.

«Si on passe demain matin de 39 pour cent d'appui à 35 pour cent, on peut se dire que c'est une baisse de quatre points, mais on peut se dire aussi qu'il y a un an on n'était pas là et on est rendu à 35 pour cent! Tout est relatif», dit-il.

Ce qu'il ne dit pas c'est qu'un score de 35 pour cent d'appuis de la population ferait rêver Jean Charest et Pauline Marois, dont l'impopularité atteint des sommets.

L'ex-ministre péquiste a été le premier surpris de la montée fulgurante de sa popularité. «Je n'avais pas pensé que ça irait aussi vite», convient-il, conscient qu'il doit désormais gérer le succès et une croissance rapide de son parti.

Chose certaine, sondage après sondage, son avance est telle sur ses adversaires qu'ils ne peuvent pas l'ignorer.

Désormais, avec la CAQ dans le paysage, plus rien ne peut être tenu pour acquis: les forteresses péquistes et libérales semblent être choses du passé, tant la vague caquiste est forte.

Avec la perspective d'un scrutin printanier, la CAQ doit prendre les bouchées doubles pour espérer se présenter à la ligne de départ armée pour gagner. Le principal adversaire de François Legault pourrait donc être le temps.

Dans les tout prochains mois, il devra donc s'affairer à monter son organisation, trouver du financement, recruter des membres, doter le parti d'un programme et d'engagements électoraux et, surtout, trouver 125 candidats prêts à prendre le risque de porter la bannière multicolore de la coalition.

Il devra aussi préparer la tenue d'un premier congrès des membres, prévu en mars.

Il faudra également transformer en réalité le projet de fusion avec l'Action démocratique, si les membres accréditent comme prévu l'entente de principe signée entre les dirigeants des deux formations à la mi-décembre. Le résultat du vote des adéquistes est attendu le 22 janvier.

Personne ne sait ce qui arrivera si jamais ils se prononcent en majorité contre la fusion. Mais on peut difficilement imaginer voir les quatre députés adéquistes, passés avec enthousiasme dans le camp Legault, rebrousser chemin.

Dès le 14 février, le chef devra surveiller son aile parlementaire, formée de deux ex-péquistes et six ex-adéquistes, donc issus de moules idéologiques bien différents.

Avec un caucus de seulement huit députés, le chef parlementaire du groupe, Gérard Deltell, aura fort à faire pour convaincre le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, de le reconnaître comme groupe avec tous les avantages que cela comporte en termes de budgets de recherche et de temps de parole. Normalement, un groupe parlementaire doit être constitué d'au moins 12 députés.

Sur le plan des idées, jouant les rassembleurs et les pragmatiques, M. Legault a réussi à séduire de nombreux électeurs, en refusant de s'afficher souverainiste ou fédéraliste, et en rejetant les étiquettes de gauche ou de droite.

Ses adversaires vont cependant tenter de transformer cette force en faiblesse, en se moquant du flou identitaire qu'il cultive.

Jusqu'à maintenant, M. Legault a tenu à centrer son message autour de quelques idées fortes: hausser le salaire des enseignants de 20 pour cent en retour d'une exigence de performance et de la remise en question de leur sécurité d'emploi, abolir les commissions scolaires et les agences de santé, revoir le mode de financement des hôpitaux en fonction du volume de soins, inciter les médecins à prendre davantage de patients pour que tous les Québécois aient accès à un médecin de famille, et plafonner le nombre d'immigrants à 45 000 pendant deux ans, notamment.

Mais plus l'échéance électorale approchera, plus il devra se commettre sur une foule de sujets - agriculture, environnement, transport, relations Québec-Ottawa, régions, politiques sociales, Plan Nord, etc - sur lesquels on ne sait toujours pas où il loge.

Tout ce qui touche la CAQ sera examiné à la loupe par la classe politique et les médias: combien d'argent réussira-t-elle à amasser? En provenance de qui? Combien de membres seront recrutés? Quelle sera leur contribution à la rédaction du programme qui à ce jour a été défini uniquement par le chef? Pourra-t-elle attirer des candidats vedettes? Et ces candidats seront-ils considérés plus de gauche ou de droite, plus souverainistes ou fédéralistes? Y aura-t-il d'autres députés transfuges?

L'année 2012 devrait apporter des réponses à toutes ces questions.

Mais les plus importantes demeurent peut-être celles-ci: François Legault fera-t-il la démonstration que sa coalition n'est pas le parti d'un seul homme? Et qu'elle ne sera pas qu'une étoile filante?