Pour que le français demeure la langue de travail de sa filiale immobilière, la Caisse de dépôt a demandé à deux cadres unilingues de suivre des cours de français. Or, La Presse a appris que les deux gestionnaires suivent de tels cours depuis...10 ans, mais sans succès.

Le 15 novembre, La Presse a révélé que des employés de la filiale Ivanhoé Cambridge ont porté plainte à l'Office québécois de la langue française. Ils dénoncent l'unilinguisme anglais du président de l'exploitation, Kim McInnes, et du vice-président principal des ressources humaines, David Smith. Le premier vit à Montréal depuis deux ans, et le second, depuis onze ans.

La nouvelle a provoqué une tempête politique et incité la Caisse à prendre des mesures. Entre autres, David Smith a été convié à un programme intensif d'immersion de trois mois. Quant à M. McInnes, il «accélérera son apprentissage du français par le biais [sic] de cours de langue privés et de périodes d'immersion régulières intégrées à sa charge de travail».

Or, selon nos informations, les deux cadres ont suivi de nombreuses leçons particulières au cours des 10 dernières années et les résultats sont peu convaincants. L'apprentissage a commencé en 2001 après que l'entreprise québécoise Ivanhoé a avalé la firme torontoise Cambridge, d'où proviennent les deux gestionnaires.

Après la transaction, Kim McInnes a été placé en immersion totale durant deux semaines dans la région francophone de Saguenay, au Québec. Par la suite, il a été inscrit à des leçons particulières à Toronto auprès de l'Alliance française, où la série de 10 cours coûte 550$. L'apprentissage du français avait été demandé par la Caisse pour permettre la supervision des employés francophones de Montréal.

École buissonnière

Selon nos renseignements, M. McInnes s'est rarement présenté à ses cours de français de 2001 à 2009, à Toronto. Il s'absentait sans prévenir ou envoyait parfois ses secrétaires pour suivre la formation, nous dit-on. Depuis 2009, il suit d'autres cours de français à Montréal, mais il continue de fonctionner en anglais à la Caisse.

Joint par La Presse, le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, a défendu les récentes mesures prises par Ivanhoé Cambridge. En 2001, l'immersion de M. McInnes à Jonquière a été faite de «manière volontaire parce qu'il voulait apprendre le français», nous dit-il.

«C'est vrai qu'il a suivi des cours par la suite, mais c'était sporadique, parce qu'il devait conjuguer les cours avec ses déplacements d'affaires à l'étranger», dit-il.

En 2009, lors de sa nomination comme président de l'exploitation, Kim McInnes a déménagé de Toronto à Montréal avec sa famille. «Depuis deux ans, les cours sont un peu plus réguliers, mais c'est quand même moins soutenu que ce qu'il fera à partir de maintenant», dit-il.

En moyenne, depuis 2009, les cours étaient suivis au rythme d'une fois par semaine environ. Cette fréquence a manifestement été jugée insuffisante par certains employés, qui ont porté plainte à l'Office de la langue française en octobre.

Aujourd'hui, nous assure Maxime Chagnon, Kim McInnes «est très engagé, il est sérieux pour apprendre le français en accéléré, il prend ça très au sérieux et il comprend très bien l'importance de devoir le parler au Québec. Il faut lui donner une chance de suivre ses cours».

Combien de cours? «On pourrait parler de peut-être le triple de ce qu'il faisait. C'est en train de se mettre en place. Il m'a dit qu'il visait trois fois par semaine, mais ce n'est pas simple. Il faut aussi laisser le temps passer pour lui permettre de le faire», explique M. Chagnon.

Comment trouvera-t-il maintenant ce temps dont il ne disposait pas avant? «Le contexte est différent. Avant, il était à Toronto et maintenant il est à Montréal. On se rend compte qu'effectivement, ses cours à Montréal depuis 2009 n'étaient pas suffisants et c'est pourquoi Kim, parmi tous ses engagements, prendra maintenant le temps pour accélérer son apprentissage du français», dit-il.

De son côté, David Smith est déjà en immersion en français dans une région du Québec que M. Chagnon préfère ne pas nommer.

Ivanhoé Cambridge est l'une des 10 plus grandes sociétés immobilières du monde, avec un actif de 30 milliards de dollars. Elle détient des actifs dans trois secteurs: les centres commerciaux, les bureaux et les immeubles multirésidentiels. La Caisse de dépôt et placement du Québec détient plus de 95% de la société.