Des experts estiment que le premier ministre Jean Charest étire la sauce indûment en affirmant que son Plan Nord permettra d'appuyer l'affirmation de la souveraineté canadienne sur le passage du Nord-Ouest.

«C'est seulement de la rhétorique», soutient Joël Plouffe, spécialiste de la question arctique et chercheur à l'Observatoire de géopolitique de la chaire Raoul-Dandurand, de l'UQAM. «Il est allé un peu trop loin: ça fait vendeur de chars qui en met trop.»

Jean Charest a fait le lien entre Plan Nord et souveraineté sur le passage du Nord-Ouest, lundi, dans un discours devant la chambre de commerce du Montréal métropolitain au cours duquel il a défendu son plan de développement nordique.

En point de presse, il a précisé que «l'occupation du territoire est extrêmement importante pour affirmer sa souveraineté et que le passage du Nord-Ouest sera un enjeu très important à l'avenir».

Avec la fonte des glaces, dans 20 ou 30 ans selon certaines estimations, le passage offrirait une route maritime plus courte entre l'Europe et l'Asie. «Quand ce passage-là va s'ouvrir, il y aura des enjeux très importants sur la question de notre souveraineté, de notre propriété», a ajouté le premier ministre.

Que le Plan Nord permette d'occuper davantage le territoire québécois, soit. Mais de lier cela au passage du Nord-Ouest, «c'est étirer la sauce au maximum, c'est aller un peu trop loin en étirant le territoire du Québec jusqu'à une zone encore plus éloignée», souligne Joël Plouffe.

C'est que la route habituelle du passage du Nord-Ouest ne passe pas du tout près du Québec. L'entrée est du passage se fait complètement au nord de la gigantesque île de Baffin, par le détroit de Lancaster, et non par le détroit d'Hudson, qui sépare le sud de l'île de Baffin et le nord du Québec.

De toute façon, l'occupation du territoire a peu ou pas d'impact sur le contentieux sur le passage du Nord-Ouest. «C'est un raisonnement tiré par les cheveux, croit Frédéric Lasserre, professeur de géographie à l'Université Laval et directeur de projet au réseau ArcticNet. Il n'y a aucune contestation de la souveraineté canadienne sur les terres émergées, sauf pour la minuscule île de Hans.»

Le contentieux autour du passage réside plutôt dans le statut juridique des eaux de navigation: eaux intérieures, comme le soutient le Canada, ou détroit international, comme le prétendent notamment les États-Unis. Pour le Canada, l'enjeu est de pouvoir contrôler le trafic maritime et imposer ses normes environnementales, résume Stéphane Beaulac, professeur de droit à l'Université de Montréal. Le territoire ne fait pas partie du contentieux.

Il reste la question des ressources, relevée par le premier ministre Charest: «Derrière ça [la souveraineté sur le passage] se cache un autre enjeu qui est très évident, c'est la question de la propriété des ressources dans ce coin-là de la planète. Vaut mieux s'en occuper tout de suite et le savoir, en être conscient et occuper ce territoire de la bonne façon.»

Or, même si le passage du Nord-Ouest devenait un détroit international, les potentielles ressources cachées sous le détroit demeureraient canadiennes, assure Stéphane Beaulac.

En somme, aucun pays ne remet en question la souveraineté du Canada sur l'archipel arctique, pas plus que sur les terres du Québec ou les zones économiques exclusives autour de la province. Les ressources dans cette région ne sont pas contestées, contrairement à ce qui se passe dans la mer de Beaufort, lieu de certaines disputes canado-américaines.

Notons qu'une navigation de transit au nord du Québec n'est pas exclue. Le lien maritime reliant Churchill, au Manitoba, et Murmansk, en Russie, pourrait un jour prendre une certaine importante, note Joël Plouffe. Ce «pont arctique» passe par le détroit d'Hudson, sur la pointe nord de la province. Le statut juridique de cette route n'est pas remis en question.