La Caisse de dépôt a fait certains gestes, hier, pour s'assurer que le français soit la langue de travail de sa filiale immobilière à Montréal. Toutefois, des postes de direction, auparavant concentrés à Montréal, ont pris la route du Canada anglais, a constaté La Presse.

«C'est sûr et certain, des postes importants se perdent à Montréal au profit de Toronto, de Calgary, de Vancouver. Il y a une décentralisation de certains postes», affirme une personne bien au fait des activités du groupe immobilier de la Caisse.

Cette décentralisation contribue indirectement à l'anglicisation de l'organisation. À Montréal, le bilinguisme est exigé, sauf exception, mais ce n'est évidemment pas le cas ailleurs au Canada. Cette situation oblige un plus grand nombre d'employés de Montréal à recourir à l'anglais pour communiquer avec leurs patrons de l'extérieur.

La décentralisation découle de la réorganisation de la filiale immobilière, Ivanhoé Cambridge. Aujourd'hui, l'entreprise gère ses portefeuilles d'immeubles par région plutôt que par catégorie (bureau, résidentiel, commercial), une décision audacieuse.

Le porte-parole de la Caisse de dépôt, Denis Couture, reconnaît qu'il y a une décentralisation de certains postes de direction. «Mais on parle d'une poignée de postes, une demi-douzaine au maximum», dit-il.

De nouvelles mesures en place

Hier, Ivanhoé Cambridge a annoncé certaines actions pour faire une plus grande place au français à Montréal. Le premier vice-président, ressources humaines, David Smith, qui ne parle pas bien le français, sera muté à un nouveau poste au terme d'un programme d'immersion intensif en français de trois mois.

À son retour, il deviendra vice-président directeur, ressources humaines, pour les employés hors Québec. Le nouveau cadre en ressources humaines que cherche la Caisse depuis juillet ne sera plus un subalterne de M. Smith, contrairement à ce qui avait été annoncé. Il relèvera directement du PDG d'Ivanhoé Cambridge, Daniel Fournier.

Autre changement: le président, exploitation, Kim McInnes, devra accélérer son apprentissage du français par le truchement de leçons particulières et de périodes d'immersion régulières intégrées à sa charge de travail.

Daniel Fournier a fait une profession de foi à l'égard du français, tout comme le grand patron de la Caisse, Michael Sabia. «Le français comme langue de travail à la Caisse, c'est pour moi bien plus qu'une obligation. C'est un engagement personnel fondamental», a dit M. Sabia, selon qui la Caisse a parmi ses responsabilités la formation d'une relève francophone de calibre mondial.

Toronto

Dans l'immédiat, la réorganisation d'Ivanhoé Cambridge a dilué le pouvoir du siège social de Montréal. Avant la restructuration orchestrée par Daniel Fournier, il y avait deux responsables du développement, un bilingue à Montréal, Michel Cyr, et un unilingue à Toronto, Paul Gleeson. Au bout du compte, c'est le Torontois unilingue qui a eu le poste. Michel Cyr a été déplacé à Paris.

Autre exemple: Ivanhoé cherche à pourvoir un poste de premier vice-président, construction et coordination avec les locataires. Comme il relève de Paul Gleeson, ce poste sera à Toronto, où le bilinguisme est superflu.

La gestion du financement hypothécaire est une autre illustration des conséquences de ce déplacement du pouvoir. La Caisse exerce ce type d'activité depuis des lustres. Les responsables des activités hypothécaires avaient l'habitude de travailler à Montréal et à Québec. Ce n'est plus nécessairement le cas.

«Juste avant la réorganisation d'Ivanhoé Cambridge [en juillet 2011], le patron des hypothèques, Ross Brennan, ne parlait pas français. Son numéro 2 est Paul Chin, de Toronto, qui ne parle pas français non plus. Ça fait des réunions qui ne peuvent pas se faire en français parce que les deux patrons ne peuvent pas suivre», explique un professionnel du milieu financier de Montréal, sous le couvert de l'anonymat.

Avec la réorganisation, la Caisse a nommé Raymond McManus à titre de patron de la filiale de financement hypothécaire, Otéra Capital. Ex-patron de la Banque Laurentienne, M. McManus est bilingue et travaille à Montréal.

De son côté, Paul Chin a pris du galon. Entrée en 2009 à titre de responsable des financements immobiliers Ontario et ouest du Canada, il occupe maintenant la vice-présidence du financement immobilier, syndication des prêts et marchés des capitaux. Il travaille toujours de Toronto.

Pourquoi tous ces patrons travaillent-ils à Toronto et non à Montréal? «C'est en raison de la proximité de la clientèle principale», a répondu le porte-parole de la Caisse, Denis Couture. Dans les trois cas, explique-t-il, l'institution veut se rapprocher des marchés plus actifs du Canada anglais.