Déçu par son premier séjour en politique, François Legault replonge, plus pressé que jamais de changer le Québec.

Lorsqu'il était ministre de l'Éducation dans le gouvernement Bouchard, au tournant du millénaire, François Legault débarquait régulièrement dans les commissions scolaires avec les deux mêmes questions. «Quelle est votre pire école et que faites-vous pour améliorer ses performances?»

«Souvent, les présidents des commissions scolaires ne savaient pas quelles écoles avaient de la difficulté et ça fâchait beaucoup François Legault», raconte Alain Leclerc, son ancien attaché de presse.

Comptable de formation, entrepreneur accompli, homme de résultats, François Legault ne comprenait tout simplement pas que les commissions scolaires ne mesurent pas les taux de réussite, qu'elles ne suivent pas de très près la performance des écoles.

De leur côté, les commissions scolaires ont toujours reproché à François Legault d'avoir une approche trop comptable, trop «colonnes de chiffres». Une douzaine d'années plus tard, le différend persiste: François Legault promet d'abolir les commissions scolaires s'il prend le pouvoir.

Les commissions scolaires ne sont pas les seules à déplorer son côté comptable. Cette critique revient constamment dans la bouche des détracteurs de l'ancien président d'Air Transat, devenu ministre péquiste, puis, cofondateur de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ).

Tous les anciens compagnons d'armes péquistes décrivent avec un certain dédain le penchant de M. Legault pour les colonnes de chiffres, son manque d'élévation intellectuelle et ses méthodes politiques peu orthodoxes. Cela dit, ils lui reconnaissent tous quelques bons coups et admettent que son approche pragmatique peut séduire l'électorat.

«François a commencé sa carrière comme comptable, comme vérificateur, et ça paraît ! Ça ne fait peut-être pas rêver, mais quand il épouse une cause, il le fait complètement», résume Alain Leclerc, qui a vu l'ancien homme d'affaires faire ses premiers pas en politique.

Quand il a été recruté par Lucien Bouchard, François Legault venait de quitter la présidence de Transat, fleuron de l'industrie québécoise. Ceux qui l'ont côtoyé chez Transat parlent d'un entrepreneur déterminé, exigeant, mais d'agréable compagnie. L'aventure Transat s'est toutefois terminée abruptement lorsque M. Legault a vendu ses actions sans prévenir ses associés. Près de 15 ans plus tard, Jean-Marc Eustache, l'autre fondateur, et lui ne se sont toujours pas reparlé.

«J'ai essayé de rétablir les ponts avec lui, mais il ne veut pas», dit François Legault.

Pressé, impatient et inquiet

Le principal intéressé ne s'offusque pas de l'étiquette de comptable. «Lancer un parti, c'est un beau défi, ça me rappelle le lancement de Transat», dit-il.

Toute son action politique est imprégnée de son passage court mais réussi dans le monde des affaires. Lorsqu'il a imposé les fameux contrats de performance aux universités, le président de la Conférence des recteurs de l'époque, François Tavenas, lui avait dit qu'il préférait parler de « contrats d'optimisation et de développement ». Saisissant la balle au bond, M. Legault répond: «Ça fait COD, comme cash on delivery, pour moi, c'est parfait!» Finalement, les universités ont gardé la formule «contrats de performance»...

Lorsqu'il a quitté la politique, en 2009, après plus de 11 ans, François Legault n'a pas caché sa frustration devant la lenteur de la machine gouvernementale et les limites des guerres partisanes. Il aurait voulu faire plus, plus vite.

Impatient à ses débuts en politique, François Legault l'est encore plus aujourd'hui.

«Je suis très inquiet, notamment des finances publiques, dit-il. Il doit y avoir une limite à l'endettement. Il va falloir commencer à vivre selon nos moyens et ça va être difficile.» Son entourage prévient d'ailleurs que les 100 premiers jours d'un éventuel gouvernement Legault seront marqués par des changements importants et par des décisions difficiles.

À droite, vraiment ?

De là à conclure que les chiffres l'intéressent plus que les humains, il y a une marge.

Camil Bouchard, collègue de M. Legault durant les années d'opposition au PQ (2003-2009), parle de l'engagement sincère de celui-ci en faveur de l'Éducation, en particulier envers les élèves en difficulté.

En 2007, lorsque le gouvernement minoritaire de Jean Charest a transformé les centaines de millions du déséquilibre fiscal reçus d'Ottawa en baisses d'impôt, François Legault était atterré, se rappelle Camil Bouchard.

«François m'avait appelé et il me répétait: "Tu te rends compte, tout cet argent qui n'ira pas dans l'éducation." Il en pleurait presque! Je me suis dit: "Ce gars-là a la réputation d'être à droite et d'être conservateur, mais il ne l'est pas"»

«François est un pragmatique. Il n'est pas de droite, ce pourquoi le mariage avec l'ADQ n'est pas si naturel», dit Benoît Charrette, ancien député péquiste de Blainville, devenu indépendant et qui se joindra à la CAQ au début de 2012.

Au sein du PQ, cette image d'entrepreneur-politicien réformateur ne plaisait évidemment pas à tous.

«Je lui ai toujours dit qu'il ne cadrait pas au PQ, dit Martin Koskinen, proche collaborateur de François Legault, qui l'a connu au cours du Sommet sur la jeunesse de 2000. Un comptable de HEC, qui a eu du succès dans les affaires et qui n'a pas fait son cours classique, ça ne cadre pas au PQ!»

Cette approche «business» de François Legault a aussi eu du bon lorsqu'il était au gouvernement, reconnaît-on dans les rangs péquistes.

«Le Québec lui doit beaucoup, en quelque sorte, parce que c'est lui qui a inventé le principe du déséquilibre fiscal, note Jean-François Lisée. La situation existait, soit les surplus à Ottawa et les besoins à Québec, mais c'est lui qui a créé le concept.»

Le choc du public

En 1998, quelques mois avant les élections générales, Lucien Bouchard était bien heureux d'avoir recruté un candidat du monde des affaires, une denrée rare dans le camp souverainiste. M. Bouchard l'avait d'ailleurs nommé immédiatement ministre de l'Industrie, avant même qu'il soit élu. C'est le conseiller de M. Bouchard, Jean-François Lisée, qui avait déniché le jeune retraité de chez Transat.

À leur première rencontre, Lucien Bouchard et François Legault «cliquent», notamment lorsque M. Legault dit au premier ministre que le Québec peut obtenir de meilleurs résultats sur le plan économique. Les deux hommes se côtoient encore, mais M. Legault n'attend ni ne demande d'appui formel de son ancien chef. «M. Bouchard est maintenant un lobbyiste, c'est plus délicat», dit un conseiller de M. Legault.

Très tôt après son entrée en politique, M. Legault a été frappé par les différences culturelles entre le privé d'où il vient et le public, qu'il découvre.

«Chez Transat, j'avais une idée le matin et le soir, elle était mise en place. Au gouvernement, ce sera toujours plus long et il faut choisir ses batailles.»

Photo: Jacques Boissinot, Archives La Presse Canadienne

Quand il a été recruté par Lucien Bouchard, François Legault (que l'on voit ici en septembre 1999) venait de quitter la présidence de Transat, fleuron de l'industrie québécoise. Ceux qui l'ont côtoyé chez Transat parlent d'un entrepreneur déterminé, exigeant, mais d'agréable compagnie.

Après les élections de novembre 1998, Lucien Bouchard offre l'Éducation à François Legault, une promotion dont il ne veut pas vraiment. (Quelques années plus tard, il ne voulait pas plus de la Santé, un «vrai tue-monde», dit-il.)

«J'étais en politique pour l'Industrie ou pour les Finances, raconte-t-il, mais j'ai finalement passé les trois plus belles années de ma vie à l'Éducation. C'est là que j'ai compris que tout part de l'éducation.»

Le passage à l'Éducation ne s'est pas fait sans heurts. Legault bouscule le milieu avec ses contrats de performance.

Lorsque le ministre des Finances de l'époque, Bernard Landry, lui apprend qu'il n'obtiendra pas les 400 millions qu'il s'était engagé à verser aux universités, il menace de démissionner. Lucien Bouchard doit rentrer d'Europe pour calmer le jeu.

Ses collègues et l'entourage de Lucien Bouchard gardent un mauvais souvenir de cet épisode.

«On avait l'impression que François avait lui-même ligué le monde étudiant contre le gouvernement, dit une source qui a suivi de près cette crise. Est-ce qu'il défendait son gouvernement ou lui-même?»

Bernard Landry reproche à son ancien collègue d'«être allé à la limite du bris de solidarité ministérielle» pour obtenir gain de cause. Jean-François Lisée, par contre, se souvient d'avoir trouvé François Legault «courageux».

Le calcul souverainiste

Décrit par ses anciens collègues péquistes comme le plus pressé des souverainistes (y compris par Bernard Landry, ce qui n'est pas peu dire), François Legault a mis l'option au congélateur pour au moins 10 ans, au terme d'une analyse cartésienne : l'option est en panne et il y a des problèmes plus urgents à régler.

Pour un gars qui demandait à Bernard Landry de promettre un référendum lors de la campagne de 2003, le changement de cap est spectaculaire. Aujourd'hui, il parle même des souverainistes comme de ses «adversaires».

La manoeuvre est d'abord un calcul politique, disent ses anciens collègues.

«François aime l'ambiguïté de sa position, ça fait son affaire, cela lui permet de ratisser plus large», dit Camil Bouchard.

Selon Benoît Charrette, «François Legault est encore souverainiste, mais il fait le constat que ce n'est pas la priorité des Québécois».

C'est cette ambivalence, cette position «entre deux chaises», qui a rebuté aussi bien des souverainistes que des fédéralistes approchés au début de ses consultations, il y a près d'un an. Joseph Facal, Jean-Herman Guay, Christian Dufour ou Guy Laforest ont fait partie des premières rencontres, mais ils n'ont visiblement pas été convaincus. Idem pour quelques grosses pointures fédéralistes. «Il devra convaincre qu'il n'est plus souverainiste, dit un ancien ministre fédéral, pour qui Legault est un "souverainiste jusque dans la moelle".»

François Legault est-il encore souverainiste?

«Je ne sais pas, répond le politologue Jean-Herman Guay. Il est semblable à beaucoup de Québécois. Il se dit: peut-être un jour. Et il a fait un gain de 30 points instantanément avec son idée de moratoire.»

Photo: Jacques Boissinot, Archives La Presse Canadienne

Les commissions scolaires ont toujours reproché à François Legault d'avoir une approche trop comptable, trop « colonnes de chiffres ». Une douzaine d'années plus tard, le différend persiste : François Legault (qu'on voit ici en mars 1999 alors qu'il était ministre de l'Éducation) promet d'abolir les commissions scolaires s'il prend le pouvoir.