On s'approchait dangereusement de la date butoir. Dans la salle de la maison CROP, derrière le miroir sans tain, l'entourage de François Legault écoutait fébrilement le groupe de discussion rassemblé pour tester les noms potentiels du nouveau parti.

Legault aurait aimé tourner la page de cette Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) - étiquette choisie jusque-là pour le groupe de réflexion. Pour ce véritable départ, on a testé des formules telles que Ralliement progrès Québec ou Ralliement Québec. Mais les gens ont préféré «coalition». Le Directeur général des élections avait refusé une demi-douzaine de formulations. L'équipe de Legault a dû se rabattre sur la formule éprouvée. Sa notoriété acquise, déjà «collée» à François Legault, lui conférait un autre avantage.

L'organisation du parti, qui sera lancé le 14 novembre, semble parfois réglée comme du papier à musique. De l'extérieur. À l'intérieur, l'improvisation règne bien souvent. Il y a un peu plus d'un an, les médias spéculaient déjà largement sur le nouveau parti de François Legault, conséquence de fuites sur une réunion informelle. Les attentes étaient subitement élevées, «et il n'y avait rien d'attaché», a expliqué cette semaine Martin Koskinen, principal conseiller de Legault.

Deltell confus

Au cours des derniers jours, on nageait toujours en eaux troubles, ont confié des sources proches des «discussions» entre la Coalition et l'entourage du chef adéquiste Gérard Deltell. Même Legault, dit-on, est convaincu que son parti ne peut se permettre de disputer les voix de centre droit à l'ADQ aux prochaines élections, et que la fusion est donc un passage obligé. Deltell méduse tous ses proches par son ambivalence. Une journée, il se confie à un «caquiste»: il se voit lieutenant du nouveau chef, responsable de l'aile parlementaire pour l'avenir immédiat. Le lendemain, il affirme que François Legault devra consentir à adhérer à certaines valeurs adéquistes. Legault est parfaitement conscient d'avoir le gros bout du bâton: il recueillera les adéquistes à la pièce si le jeune chef fait le difficile. Au début du mois de septembre, les membres du comité exécutif de son propre parti ont fortement insisté auprès de Deltell pour qu'il presse le pas afin de se rapprocher de Legault.

Comme le NPD

De récents sondages soutiennent que le Parti québécois dirigé par Gilles Duceppe pourrait coiffer la Coalition au fil d'arrivée. Mais les spécialistes des enquêtes sont plus nuancés. Cette avance péquiste existe dans le contexte où 8% des gens peuvent voter pour l'ADQ, ce qui ne sera vraisemblablement plus le cas aux élections générales. De plus, le profil des électeurs qui appuient la CAQ est étonnant; aucun groupe sociodémographique ne se démarque. Le nouveau parti a autant d'adeptes chez les hommes que chez les femmes, il est aussi populaire en région qu'à Québec ou Montréal. En fait, le profil de ces «caquistes» ressemble à la cohorte des électeurs néo-démocrates du 2 mai dernier. Des électeurs de centre gauche, qui ont voté pour un parti pro-syndical, appuient en même temps la formation de Legault qui veut réduire la taille de l'État? C'est qu'ils prônent tous la même chose: le changement.

Des couacs de la CAQ

Il reste à voir si François Legault aura le pied marin. Ses sorties en région paraissent soigneusement scénarisées. Quand il improvise, l'ancien ministre frôle bien souvent le précipice: en juin, à Lévis, il a vite dû rajuster le tir après avoir laissé entendre qu'un référendum sur la souveraineté pourrait avoir lieu dans un deuxième mandat de la CAQ. En août, il a encore entrouvert une porte surprenante. «Ne venez pas là pour faire une longue carrière politique avec moi. On s'en va là pour faire un mandat, et on ne regarde pas les sondages, et on n'est pas là pour se faire élire», a-t-il lancé, avant de devoir préciser le lendemain qu'il ne voyait pas une aussi brève existence pour la CAQ. Un dérapage tout récent: il refuse d'exclure l'abolition des cégeps «parce que [...] c'est une maudite belle place pour apprendre à fumer de la drogue et à décrocher». Une fois ces propos débusqués par une station de radio, il a dû promettre de ne pas toucher au collégial dans un avenir prévisible.

Des choix judicieux

En politique, c'est dans le choix de l'entourage qu'on différencie souvent les stratèges des aventuriers. Or, dans le repêchage de son équipe, François Legaut ne semble pas s'être trompé souvent. Dès le printemps 2010, dans ses premières conversations avec Martin Koskinen, son principal conseiller, il visait la formation d'un nouveau parti. Discret, allumé et efficace, Koskinen était déjà à son cabinet à l'Éducation 10 ans plus tôt. On a chargé Robert Dupras, ex-chef de cabinet de Legault, de scruter les 800 curriculums reçus par la formation. Patrick Lebel, organisateur dévoué du Bloc québécois, que Legault avait fait nommer président du Conseil permanent de la jeunesse, est responsable de la tournée provinciale qui a permis à Legault de rencontrer directement 3500 personnes. Il sera directeur général du nouveau parti.

Depuis le début de sa réflexion, Legault savait qu'il devait absolument trouver des fédéralistes connus pour que son groupe ne ressemble pas à un nouveau schisme entre péquistes. Des fédéralistes comme Normand Legault, du Grand Prix de Montréal, n'incarnaient pas une option dans l'opinion publique. Charles Sirois, rencontré dans son bureau à Télésystème à l'été 2010, était d'un tout autre calibre. Sa famille a été proche des conservateurs de Brian Mulroney et Jean Charest lui a confié la sélection des candidats du PLQ en 1998.

Dans la «talle» fédéraliste

D'autres choix sont passés sous le radar, mais sont plus importants. Au pouvoir depuis neuf ans, les libéraux provinciaux tiennent la dragée haute à leurs anciens «grands frères» du Parti libéral du Canada, en difficulté financière. À la suite de la quasi-disparition du PLC au Québec, des stratèges du parti auraient normalement dû être recrutés par le PLQ. Or, la porte est restée fermée. L'ex-présidente des jeunes du PLC au Québec, Brigitte Legault, est devenue directrice des opérations à la CAQ. Elle faisait partie de l'organisation de Paul Martin. Après le départ de Michael Ignatieff, elle est partie avec son réseau sous le bras. «Ça fait entrer Legault dans une "talle" de fédéralistes qui aurait dû être récupérée par le PLQ», résume un vétéran libéral à Ottawa.

Un an après que les médias eurent annoncé l'avènement d'un nouveau parti, la Coalition de François Legault sera une réalité la semaine prochaine. Quelques gaffes, bien sûr, mais surtout une démarche méthodique. Legault avait déjà déçu bon nombre de ses partisans au PQ en renonçant à se lancer dans la course à la succession de Bernard Landry, en 2005. En dépit de leurs prévisions, cette fois, il n'a pas «choké».