La ministre du Travail, Lise Thériault, appelle les entrepreneurs et travailleurs lésés par les perturbations syndicales à porter plainte. Pendant ce temps, Pauline Marois refuse de prendre position sur le placement syndical sur les chantiers.

Près du tiers des entrepreneurs victimes des perturbations syndicales hier ont déjà porté plainte. «Ce que j'ai entendu, c'est qu'hier, 150 chantiers ont été paralysés. Et (40) entrepreneurs ont déposé une plainte auprès de la Commission de la construction du Québec (CCQ)», a révélé mardi matin la ministre du Travail, Lise Thériault.

Il y en avait déjà près de 60 mardi midi, et plusieurs autres plaintes devraient être déposées dans les prochaines heures.

La ministre parlait juste avant la reprise de la commission parlementaire sur son projet de Loi 33, qui éliminera le placement syndical sur les chantiers de la construction. La mesure enrage la FTQ-Construction et le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) (CPQMC-I). Ces deux poids lourds représentent près de 110 des 155 000 ouvriers syndiqués de la province.

La ministre incite les autres victimes à porter plainte. «Je pense que les entrepreneurs doivent donner l'exemple. Ils font partie de la solution eux aussi pour que l'intimidation cesse», lance-t-elle. La ministre a répété ce message ce matin à la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), qui témoignait en commission.

Le système des chandelles

Le lobby a incité le gouvernement à ne pas reculer devant l'intimidation. Mais il avoue lui-même que ses membres «achètent la paix». «Ils acceptent les employés qui ne servent à rien, parce que ça coûte moins cher que de gérer le problème», avoue Jean-Guy Côté, directeur de la recherche à la FCCQ.

Son collègue Denis Hamel a dénoncé «le système des chandelles». «Quand une innovation technologique remplace des travailleurs, le syndicat exige d'engager le nombre équivalent de travailleurs, explique-t-il. Les entreprises le font pour acheter la paix. Par exemple, un robot remplace cinq chaudronniers. Le syndicat va dire: tu vas engager mes cinq gars, même s'ils ne travaillent pas.»

Ce système avait été documenté dans les années 1970 par la commission Cliche, rapporte M. Hamel. Il perdure entre autres à cause de la pénurie de main-d'oeuvre. Ce que craignent ces entrepreneurs, selon la FCCQ: que le syndicat refuse de leur fournir des employés lors de futurs travaux.

Si on mettait fin au placement syndical, de telles menaces s'estomperaient, croit la FCCQ.

Le groupe s'inquiète des conséquences de cette perte de productivité sur l'industrie de la construction, qui compte pour 14% du PIB. «Un jour ou l'autre, ça va nous rattraper», prévient-il.

La jeune Fédération québécoise des associations d'entrepreneurs spécialisés en construction (FQAESC) témoignait aussi ce matin. Elle compte six membres. Même si elle «applaudit» le projet de Loi 33, elle demande une «période de transition» avant d'implanter le nouveau système de placement des travailleurs, qui sera géré par un système informatisé de la CCQ.

La FQAESC souhaite que les amendes soient suspendues durant les six premiers mois. Elle voudrait aussi nommer un ombudsman à la CCQ.

Des photos contre les agitateurs

Deux facteurs incitent la ministre à croire que d'autres plaintes pourraient bientôt être déposées. Le travail de la CCQ a été ralenti hier à cause des perturbations syndicales. Et il faut un certain temps pour amasser de la preuve.

Mais les entrepreneurs sont mieux outillés pour documenter les gestes illégaux, rappelle Mme Thériault. «On n'est plus en 1970. Il y a des caméras de sécurité sur les chantiers. Les gens ont des Blackberrys et des iPhone, on est capable de filmer ce qui arrive (d'enregistrer) les conversations ou de prendre des photos des plaques d'immatriculation.»

Elle souhaite que les travailleurs lésés aident ainsi les entrepreneurs à documenter les gestes illégaux.

Les syndicats pris en défaut s'exposent à des amendes maximales de 70 000$ par jour.

Marois pas encore décidée

Le PQ dit ne pas avoir encore de position sur le projet de Loi 33. «Nous entendrons le point de vue des gens qui viendront témoigner. Il y a un lieu pour ce faire, pour en débattre, c'est la commission parlementaire. Nous serons très attentifs à ce qui va se dire. Par la suite, nous prendrons position», a indiqué ce midi la chef du PQ, Pauline Marois.

Elle a refusé de répondre aux questions des journalistes. Le chef péquiste a simplement dit être contre «la violence et l'intimidation».

Les péquistes seront appelés à voter cet après-midi sur une motion que déposera cet après-midi la ministre Thériault. Le libellé: «Que l'Assemblée nationale condamne sévèrement les arrêts de travaux, le vandalisme et l'intimidation sur les chantiers de construction au Québec et qu'elle réitère le doit de tous les travailleurs et les entrepreneurs de pouvoir oeuvrer en toute liberté et en toute sécurité sur les chantiers du Québec».

«Quand les 125 députés parlent d'une même voix, ça envoie un message clair. J'espère que les leaders syndicaux vont l'entendre», dit Mme Thériault.

Elle écarte encore pour l'instant le recours à une loi spéciale. «On n'est pas rendu là.» La ministre se dit ouverte à des amendements, mais pas sur le placement syndical. Par exemple, la gestion des fonds de formation, qui s'élèvent à 284 millions $, pourrait être modifiée.