La consultation sur le fonctionnement de l'industrie de la construction est entrée dans sa phase finale, le groupe de travail entendant jusqu'à mercredi les syndicats et les associations patronales.

Les audiences étant à huis clos, La Presse Canadienne a interviewé quatre des acteurs névralgiques de l'industrie: la FTQ-Construction et la CSN-Construction, du côté syndical, de même que l'Association de la construction (ACQ) et l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), du côté patronal.

L'un des points les plus chauds qui est étudié est le placement de la main-d'oeuvre, plus particulièrement le «placement syndical», c'est-à-dire le pouvoir qu'ont les syndicats de fournir de la main-d'oeuvre aux entrepreneurs.

Au Québec, un entrepreneur qui a besoin de main-d'oeuvre peut soit embaucher lui-même ses ouvriers, soit faire appel au système de référence de la Commission de la construction, soit demander au syndicat de lui fournir des ouvriers ayant la compétence requise.

Le président de l'Association de la construction, Jean Pouliot, est catégorique: «le placement syndical pose problème. Ça fait plusieurs années que nos entrepreneurs se plaignent de la perte de leur droit de gérance. Nous n'avons pas toujours le choix d'embaucher qui nous voulons sur les chantiers, principalement dans les métiers mécaniques ou les métiers où il y a une très forte tendance avec un seul syndicat.»

«Des employeurs, souventes fois, vont se taire, vont accepter la situation pour éviter des représailles ou des ralentissements de travail», rapporte M. Pouliot.

Directeur général de la FTQ-Construction, Yves Ouellet pense que cette question du placement syndical «a été largement grossie», exagérée. Dans les faits, «les syndicats à travers la province font approximativement 15 pour cent du placement et c'est surtout du placement extrêmement spécialisé», argue-t-il en entrevue.

Un entrepreneur peut vouloir un charpentier-menuisier de coffrage, de finition ou d'escalier, par exemple. «Lorsqu'un entrepreneur a besoin d'un certain type de travailleurs, c'est sûr qu'il aime mieux passer par les syndicats, parce qu'on connaît notre monde un peu plus», justifie M. Ouellet.

Il ajoute qu'«à la FTQ-Construction, on a toujours favorisé le placement régional, parce que quand t'as du travail qui se fait dans ta région, c'est tout à fait normal que ça soit ton monde qui travaille là.»

Le dg de la FTQ-Construction nie que ce système de placement entraîne de la discrimination envers les ouvriers qui ne sont pas syndiqués au «bon» syndicat. «Le placement syndical, ça répond à un besoin, à un besoin patronal; les patrons nous le demandent. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment de la discrimination parce que tu viens d'une centrale ou d'une autre. C'est surtout tes compétences qui font que tu vas être référé.»

Même la Commission Cliche, en 1975, avait recommandé l'abolition des bureaux de placement syndicaux et jamais cela ne s'est concrétisé.

La commission d'enquête sur les dépassements de coûts du chantier de la Gaspésia, en 2005, avait jugé qu'il serait utopique de proposer l'abolition des bureaux de placement syndicaux. «L'expérience des 30 dernières années démontre clairement que l'abolition des bureaux de placement syndicaux est illusoire en pratique.»

La CSN-Construction, moins imposante que la FTQ-Construction et le Conseil provincial des métiers de la construction, n'est pas du même avis. Son président, Aldo Miguel Paolinelli, veut que l'on retire des mains des syndicats le pouvoir de référer de la main-d'oeuvre à des entrepreneurs.

Une autre association patronale, l'APCHQ, ne demande pas l'abolition du placement syndical. «On pense qu'on peut mieux l'encadrer au plan réglementaire, avec des pénalités plus importantes, un point c'est tout», a affirmé Éric Cherbaka, directeur général de la division membres et industrie.

À la CCQ?

M. Paolinelli, de la CSN-Construction, aimerait que le placement de la main-d'oeuvre soit plutôt assuré par la CCQ. «La Commission de la construction devrait avoir la référence de la main-d'oeuvre dans ses mains et la faire», tranche-t-il.

Ce n'est pas une bonne idée, rétorque une des plus importantes associations patronales, l'ACQ. «Actuellement, la Commission de la construction a le mandat de référer la main-d'oeuvre et ça ne fonctionne pas du tout. Ça fait des années que ça ne fonctionne pas. Ça fait partie de la loi; la CCQ doit faire le «référencement» de la main-d'oeuvre, mais ça ne fonctionne pas. Actuellement, le seul endroit où les patrons peuvent se retourner, c'est vers les syndicats», déplore M. Pouliot.

Même la commission d'enquête sur la Gaspésia affirmait que la Commission de la construction «ne possède pas toute l'information nécessaire pour gérer un système de référence efficace» de la main-d'oeuvre.

Cloisonnement

Le cloisonnement des métiers est un autre thème chaud débattu lors de cette consultation.

L'APCHQ insiste pour obtenir davantage de souplesse, estimant que plusieurs métiers de la construction font appel à des compétences similaires.

M. Paolinelli, de la CSN-Construction, réplique que les constructeurs d'habitations veulent décloisonner les métiers mais, du même souffle, demandent aux ouvriers de se «surspécialiser», ce qu'il trouve contradictoire. «Ils veulent que n'importe qui puisse faire n'importe quoi et au plus bas salaire», ironise-t-il, affirmant que c'est justement dans le secteur résidentiel qu'il y a le plus de travail au noir.

M. Pouliot, de l'ACQ, souhaite aussi «une solution pour régler les conflits entre métiers», mais ne va pas jusqu'à prôner le décloisonnement.

Après avoir procédé à cette consultation et entendu des experts, le groupe de travail devra rédiger un rapport qu'il remettra à la ministre du Travail, Lise Thériault. Celle-ci a indiqué en entrevue qu'elle souhaitait déposer une réforme à ce sujet dès cet automne.