Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, et la ministre du Travail, Lise Thériault, ont annoncé vendredi la création de l'Unité permanente anticorruption, qui regroupera l'escouade Marteau, l'escouade anticollusion du ministère des Transports et des enquêteurs d'autres ministères et organismes.

L'Unité (UPAC) fonctionnera sous le modèle du Department of Investigation de la Ville de New York. Elle sera dirigée par un commissaire relevant du ministre de la Sécurité publique. Cette personne sera nommée d'ici à quelques semaines pour un mandat de cinq ans.

L'UPAC aura son siège dans la région de Montréal. Elle aura un effectif de 189 personnes et bénéficiera d'un budget annuel de 30 millions de dollars. Les policiers de l'escouade Marteau continueront de relever hiérarchiquement de la Sûreté du Québec, et les autres fonctionnaires, de leurs ministères et organismes.

Néanmoins, plusieurs lois seront modifiées afin de faciliter l'échange d'information d'un groupe à l'autre. Les membres de l'unité anticollusion du ministère des Transports seront intégrés à l'UPAC, mais leur mandat sera élargi. En plus d'eux et des membres de l'escouade Marteau, l'UPAC regroupera des effectifs provenant du ministère du Revenu, du ministère des Affaires municipales, de la Commission de la construction et de la Régie du bâtiment.

Se greffera à cette structure le Bureau de lutte contre la corruption et la malversation, qui réunira une trentaine de procureurs et d'assistants. Leur mandat consistera à autoriser et à intenter des poursuites criminelles et pénales en matière de corruption.

Le ministre Dutil a indiqué que cette unité anticorruption est une première au Canada. «Nous envoyons un message clair, a-t-il dit: les pratiques de corruption, de collusion et de malversation sont inacceptables et ne sont pas tolérées au Québec.»

M. Dutil a dit que le Québec, comme plusieurs sociétés occidentales, est aux prises avec un phénomène croissant: le crime organisé et les trafiquants de drogue ont des millions de dollars à blanchir dans l'économie légale. Ils tentent de recycler leur argent sale dans des secteurs entiers de l'économie, notamment celui de la construction, a-t-il dit en substance.

Commission d'enquête publique

Le ministre a ajouté que la création de l'UPAC est préférable à une commission d'enquête publique. Un des problèmes des commissions d'enquête, a-t-il affirmé, tient au fait que les témoins jouissent de l'immunité et que leurs témoignages ne peuvent donc pas être utilisés contre eux devant les tribunaux.

Le Parti québécois ne s'oppose pas en principe à cette nouvelle escouade anticorruption. Mais, selon son député Stéphane Bergeron, il s'agit d'abord d'un «autre geste de diversion de la part du gouvernement libéral pour éviter d'offrir ce que trois Québécois sur quatre réclament, soit une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction».

«Bien sûr, nous voulons que ceux qui violent la loi soient traduits devant les tribunaux, a dit M. Bergeron. Mais lorsqu'ils plaident coupables, le public ne prend pas connaissance des preuves. Or, les Québécois veulent savoir ce qui se passe.»

En point de presse, M. Bergeron a dénoncé le manque d'indépendance de l'UPAC, qui relèvera du ministre de la Sécurité publique plutôt que de l'Assemblée nationale. Il a cité un expert américain de la lutte contre la corruption, Frank Anechiarico: «Il arrive trop souvent que, au lendemain d'un scandale, un gouvernement crée une de ces unités anticorruption et ça devient une mascarade, quelque chose que le gouvernement brandit pour faire taire les critiques. Le gouvernement met à la tête de cette agence une personnalité connue et crédible mais, après quelque temps, il ne se passe plus rien à cause du manque d'indépendance de ces agences.»

L'Action démocratique du Québec réclame elle aussi une enquête publique. La création de l'unité anticorruption, «c'est du recyclage de l'opération Marteau», a dénoncé la leader parlementaire de l'ADQ, Sylvie Roy. Selon elle, le nouvel organisme aura la même fonction que l'escouade de la SQ. Elle a qualifié l'annonce d'«improvisation» et de «désaveu de l'opération Marteau».

Plusieurs lois

Le gouvernement Charest s'apprête à modifier plusieurs lois, et pas seulement pour faciliter l'échange de renseignements entre les enquêteurs des ministères et organismes appelés à travailler pour l'UPAC. M. Dutil a annoncé une hausse des pénalités liées à des fraudes fiscales d'envergure et des mesures pour protéger les dénonciateurs contre les représailles.

Le président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, Jean-Guy Dagenais, a salué le fait que l'escouade Marteau devienne permanente et que des effectifs soient ajoutés.

En revanche, les procureurs du gouvernement menacent de boycotter la nouvelle unité si le gouvernement force leur retour au travail au moyen d'une loi d'exception. Le cas échéant, environ 420 des 450 membres en grève de l'Association des procureurs affectés aux poursuites criminelles et pénales se sont engagés à ne pas poser leur candidature aux postes de procureur dans la nouvelle unité. Sans procureur, cette unité serait incapable de traduire en justice les personnes accusées de corruption.