Des propriétaires de garderies privées se préparent à contester devant les tribunaux une loi adoptée la semaine dernière qui resserre l'encadrement des services de garde.

Ils estiment que leurs droits sont bafoués par une disposition de la loi 126 qui limite le nombre de garderies que peuvent exploiter les membres d'une même famille.

La loi restreint à 5 le nombre de garderies subventionnées et à 300 le nombre de places à 7$ que peuvent détenir une personne ou des «personnes liées» à celle-ci. Le terme «personnes liées» désigne les conjoint, fils, fille, père, mère, oncle, tante, frère, soeur et leurs conjoints ainsi qu'une entreprise dirigée par cette personne ou son associé, qu'il soit membre ou non de la même famille. L'objectif du gouvernement est de stopper la multiplication des chaînes de garderies, un phénomène mis au jour par La Presse en 2005.

Pour l'Association des garderies privées du Québec (AGPQ), «c'est de la folie furieuse» que d'étendre la restriction jusqu'aux membres de la famille, sauf pour ce qui est du conjoint. Elle ne s'oppose pas à l'idée de limiter le nombre de garderies détenues par une personne, par son entreprise et par ses associés.

«On a l'impression que tout le monde a peur d'avoir peur dans ce dossier», dit le directeur général de l'AGPQ, Jean-François Belleau, au sujet des chaînes de garderies. «On en vient à perdre le fil du gros bon sens.» Il trouve aberrant qu'on empêche une personne d'ouvrir une ou plusieurs garderies parce qu'une tante est déjà propriétaire de quelques-unes et que le quota du Ministère est ainsi atteint.

L'AGPQ a demandé un avis juridique à Me Julius Grey. L'avocat conclut que la restriction concernant les membres de la famille est discriminatoire. «Le but de la nouvelle loi est de limiter le nombre de permis par famille. Cette notion est manifestement une violation de l'article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés parce qu'elle fait une distinction basée sur le statut social», peut-on lire dans cet avis de deux pages.

«Il est probable que l'article 15 de la Charte canadienne (qui garantit le droit à l'égalité) puisse être invoqué aussi, mais l'accroc à la Charte québécoise est patent.»

Toujours selon cet avis, «si une rectification restreinte aux conjoints qui cohabitent dans le même foyer pourrait possiblement être défendue malgré des objections sérieuses basées sur l'indépendance des conjoints, les restrictions qui touchent d'autres parents paraissent presque indéfendables».

«Bref, l'adoption de cette proposition devrait déclencher une contestation qui aurait toutes les chances de réussir devant les tribunaux», conclut l'avis.

Des probabilités élevées

Selon Jean-François Belleau, au moins «trois ou quatre propriétaires» de garderies privées envisagent sérieusement de se tourner vers les tribunaux. «Sur une échelle de 0 à 10, on parle de 9,5», a-t-il dit quant à la probabilité qu'un recours judiciaire soit intenté. Il a refusé de dire qui sont les trois ou quatre propriétaires de garderies.

L'AGPQ a tenté en vain de convaincre la ministre de la Famille, Yolande James, d'amender la loi 126 avant son adoption à l'Assemblée nationale. Notons que Jean-François Belleau était attaché politique de Michelle Courchesne à l'époque où elle était ministre de la Famille.

Yolande James ne craint pas outre mesure un éventuel recours judiciaire des garderies privées. Au moment de la rédaction de la loi, «on est allé chercher l'aval des juristes. Et les dispositions ont été jugées recevables. Alors on est à l'aise d'un point de vue juridique», a affirmé son attachée de presse, Geneviève Hinse. Elle souligne que, dans les dernières années, des personnes de la même famille ont créé des chaînes de garderies. Avec la loi 126, le gouvernement veut éviter qu'une personne puisse «directement ou indirectement», comme par l'entremise de sa parenté, exploiter un grand nombre de garderies, a ajouté Mme Hinse.