Certains étaient attentifs. Les Jean Charest et Pauline Marois allaient-ils opter pour les voeux aseptisés du Québec des accommodements raisonnables? Ou prendraient-ils à bras-le-corps l'arbre de Noël dans des souhaits bien sentis aux odeurs de tourtière, avant que ne tombe le rideau sur l'année parlementaire?

Tout était fin prêt... pour la fin des travaux; les employés du Journal des débats avaient fait leurs traditionnels paris sur la minute exacte de la clôture des échanges.

Arrive la fin de la période des questions, le moment où, habituellement, tout le monde et son père se congratulent, comme les boxeurs tuméfiés qui se tombent dans les bras une fois la cloche sonnée.

Rien. On passe à un autre appel, un vote sur un projet de loi. Cette année, Jean Charest, Pauline Marois et Gérard Deltell n'ont pas senti le besoin d'échanger des voeux.

Mme Marois et M. Charest diront tous deux en point de presse, quelques minutes plus tard, qu'ils avaient pourtant préparé des notes pour ces brèves allocutions de circonstance.

Mais les circonstances, justement, ne s'y prêtaient pas.

Surpris, le président de l'Assemblée, Yvon Vallières, a cédé sa place - il enverra ses voeux quelques heures plus tard par courriel. Juste avant d'ajourner, en après-midi, le vice-président, François Gendron, a senti qu'il devait improviser des souhaits. Il a invité les députés à se reposer afin que, à la rentrée, «cette Assemblée puisse fonctionner le mieux possible». Quelques minutes plus tôt, manoeuvre inhabituelle, il avait dû suspendre les travaux durant un vote, tant les élus étaient dissipés.

Les deux camps, il faut le dire, venaient de s'affronter dans les coulisses: le cabinet de Jean Charest avait annoncé son point de presse-bilan quelques minutes avant que Mme Marois ne convoque le sien, pour le même moment.

C'est devenu un cliché de dire que le climat est mauvais à l'Assemblée nationale. Ce qui est nouveau, c'est que ces tensions apparaissent dans des stratégies aussi puériles.

On n'a jamais vu autant d'acrimonie entre le premier ministre et le chef de l'opposition. Il n'y avait pas d'amour perdu entre Daniel Johnson et Jacques Parizeau, mais on se gardait une petite gêne. Mme Marois a accusé Jean Charest de refuser une enquête sur la construction pour ne pas «mordre la main qui le nourrit», une allusion à la rente de 75 000$ par année que lui versait son parti, à laquelle il vient de renoncer. L'adéquiste Deltell, plus récemment, a assimilé Jean Charest au parrain de la pègre italienne. On ne trouve pas beaucoup de précédents où des élus ont ainsi mis en doute l'intégrité personnelle du premier ministre.

Jean Charest, hier, a qualifié de «bulle» cette Assemblée nationale coupée des préoccupations des citoyens, selon lui. S'il n'y prend garde, la bulle risque d'éclater - avec encore deux ans dans l'opposition, l'humeur ne sera pas aux compromis du côté du PQ. Reflet de l'ambiance délétère au Parlement, le point de presse de Jean Charest a été particulièrement pénible, hier: une tension inédite s'est installée entre les journalistes et le politicien.

Propos sous surveillance

Chaque jour, en Chambre, les deux leaders parlementaires, Jean-Marc Fournier et Stéphane Bédard, se sont enguirlandés. Cela a duré quatre mois. Hier, devant un président agacé, ils se sont encore longuement chamaillés pour savoir si on pouvait demander à un ministre «d'arrêter de prendre les gens pour des imbéciles». Timoré, le président Yvon Vallières est intervenu sans trancher dans le vif: les propos n'ont pas à être retirés, mais ne doivent plus être utilisés. Même si, cet automne, les techniciens de l'Assemblée nationale ont augmenté le volume de son micro, histoire de lui conférer plus d'autorité, l'affable doyen de l'Assemblée ne s'impose pas. Par bravade, Stéphane Bédard l'a prévenu qu'il comptait «lire et réfléchir» à cette décision de la présidence durant le congé des Fêtes. Pas question de contester son impartialité, admettra-t-il une fois en dehors de l'arène. Un autre effet de toge.

Son adversaire Fournier est plus pugnace encore. L'ancien président de l'Assemblée nationale Michel Bissonnet avait quitté son poste, incapable de supporter plus longtemps Jean-Marc Fournier. Jacques Dupuis allait être aussi un adversaire redoutable pour l'opposition, mais moins retors.

Cette semaine, devant une pluie de contrats injustifiables accordés à la firme National par le gouvernement Charest, Jean-Marc Fournier n'avait qu'une réponse: le PQ avait fait de même.

Pendant ce temps, les contribuables paient tout de même 6400$ pour la rédaction d'un discours prononcé par le ministre Clément Gignac devant l'Assemblée nationale. Un discours d'une minute, dont la rédaction était, semble-t-il, au-delà des capacités des fonctionnaires affectés aux communications du Ministère. L'attitude de M. Fournier «aggrave la perception que le gouvernement a une pratique achevée du cynisme politique», a laissé tomber Amir Khadir. Le député de Mercier, cette année encore, s'est distingué par son respect de l'institution où il siège.

En septembre, Jean Charest a soutenu que le retour de Jean-Marc Fournier allait changer l'ambiance à l'Assemblée nationale.

Il avait raison. Les échanges n'ont jamais été aussi venimeux.