En 1995, les chefs des camps du Oui et du Non, le premier ministre Jacques Parizeau et Daniel Johnson, alors chef de l'opposition libérale à l'Assemblée nationale, devaient s'affronter au cours d'un débat télévisé. Mais le camp souverainiste n'avait que faire d'un combat médiatique auquel ne participerait pas Lucien Bouchard. Les deux chefs n'ont donc jamais pu débattre face à face. Les voici désormais côte à côte, 15 ans plus tard.

Il y a 15 ans, Jacques Parizeau a mis fin à son long périple dans la vie publique québécoise avec un échec. Le camp du Oui avait pourtant eu un succès étonnant - à quelques milliers de voix d'une majorité.

Quinze ans plus tard, le chef souverainiste se souvient. Fini pour lui les débats, «le tohu-bohu de la politique».

Il est un peu amaigri, sa démarche est devenue hésitante. Mais dès qu'il évoque ces mois intenses de 1995, il redevient incandescent.

À 80 ans, il n'est pas inactif, encore moins isolé. Au moment où il accueille La Presse dans son salon impeccable d'une tour de l'Île-des-Soeurs, il attend fébrilement son petit-fils, un gaillard dans la vingtaine qui embrassera chaleureusement «grand-papa» à son arrivée. Dans quelques minutes, «Monsieur» doit dire un mot au lancement d'un livre sur Yves Michaud, un autre vieux frère d'armes.

Il y a 15 ans, la défaite a été crève-coeur pour tous les souverainistes, mais en particulier pour leur chef. «Je regrette que cela se soit terminé sur un échec. On a perdu tellement de temps, depuis, en querelles fédéral-provincial. Aujourd'hui, le Québec reste, au fond, assez désorienté pour l'avenir.»

Il proposait de régler la question nationale, un passage obligé, selon lui. Après, «il y aura des gens qui trouveront que cela va trop vite, on appellera ça la droite. D'autres jugeront que cela prend trop de temps. Ce sera la gauche. On sera devenu normal», lance-t-il.

«Je reste convaincu que, après toutes ces années, il reste 40% de Québécois qui sont souverainistes, et autant qui sont fédéralistes. L'issue est dans les 20% qu'il reste.»

L'alignement des planètes semblait inespéré pour les souverainistes, en 1995: l'accord du lac Meech avait été refusé par le Canada anglais, l'entente de Charlottetown rejetée partout au pays... Une conjoncture favorable réapparaîtra, croit Jacques Parizeau. Mais elle sera probablement tout à fait différente, prédit-il.

Pour lui, il est évident qu'il y aura un autre référendum. «On me demandait, après le référendum de 1995: «Pouvez-vous vous engager à ce qu'il n'y en ait pas d'autre?» Comment s'engager pour des jeunes qui ont 30 ans? C'est puissant et tenace, l'idée de l'indépendance», lance l'ancien chef souverainiste.

Pour Jacques Parizeau, l'avance du Non au début de la campagne référendaire, «c'est une légende urbaine».

«Pour nous, c'était jouable. Quand on a vu que cela prenait du temps, j'ai demandé à Bouchard de monter dans l'autobus. Il avait une popularité extraordinaire», raconte-t-il.

En fait, la décision fut un peu plus déchirante, mais pas question ici de s'épancher. «Pour réussir le coup, la maison ne reculait devant aucun sacrifice!» dit-il aujourd'hui avec ce rire assuré qui était, aussi, sa marque de commerce quand il était aux affaires.

À l'annonce du verdict, le soir du vote, son discours avait été aussi incisif qu'étonnant. Le Oui avait perdu «à cause de l'argent et des votes ethniques». Plus question de commenter, «tout a été dit». Mais il rappelle que la commission Gomery sur le programme fédéral des commandites a bien illustré le rôle de «l'argent» dans la stratégie fédérale.

Démission

Il avait déjà décidé de démissionner, il l'avait dit dans une entrevue préenregistrée avec Stéphan Bureau. L'espace d'un moment, il avoue avoir regretté ce départ après s'être rendu compte que son successeur, Lucien Bouchard, envoyait son option sur une voie de garage.

«Avoir su que cela tournerait comme ça, je n'aurais jamais démissionné. On est retourné à l'incantation. L'objectif du déficit zéro a créé des problèmes de gestion terribles... Au sommet de Québec, il y avait deux opposants: Françoise David et moi», rappelle-t-il.

Quand Lucien Bouchard a mis l'accent sur l'équilibre budgétaire, «il était évident que la souveraineté était laissée de côté... L'homme le plus populaire du Québec allait me remplacer, je pensais qu'il allait continuer ce que j'avais fait.»

Quand on lui rappelle qu'il a souvent été la mouche du coche pour ses successeurs - Bernard Landry a déjà dit que, par ses interventions, Jacques Parizeau était «l'allié objectif de nos adversaires» - il réplique: «C'est l'histoire de ma vie. Je dis ce que je pense et, plus encore, je fais ce que je dis!» «Je me suis fait tellement injurier comme politicien. J'étais l'ennemi public number one au Canada anglais.»

Le fiduciaire de l'option souverainiste a eu des problèmes à faire passer son message. «Peut-être que je ne suis pas un bon tribun, je ne l'ai jamais été. Mais je suis un bon professeur. Je ne soulève pas les foules, mais je suis intéressant.» Au référendum de 1995, 93% des Québécois s'étaient rendus aux urnes, un record.

Avec la campagne de 1995, bien des inquiétudes ont disparu. Le Québec a frôlé la souveraineté. «Les peurs d'autrefois ne sont plus présentes. Il n'y a plus de bonhomme Sept-Heures... c'est un gros acquis.»

Avec le recul, sans la souveraineté, l'économie québécoise s'est bien comportée depuis 1995, reconnaît-il. «Le Québec a surtout bien résisté aux récessions... c'était déjà le cas, en 2002, avec Pauline Marois. On a fini par comprendre, au Québec, comment lutter contre les récessions.»

Le Québec est toujours placé devant des problèmes importants. Cela peut sembler simpliste, mais il n'y a pas assez de hauts salariés, explique le professeur Parizeau. De plus, le manque de ressources en éducation devrait mobiliser tous les politiciens. «La dernière chose à faire est d'affamer les universités», tranche-t-il.

Après son départ, le PQ a glissé dans «les incantations», déplore-t-il, clairement préoccupé par la détermination de ses successeurs à préparer le terrain à l'indépendance du Québec. «Si vous êtes le chef des souverainistes et que vous ne voulez pas de référendum, il n'y en aura pas», rappelle-t-il.

Chronologie

12 septembre 1994

Élection du Parti québécois. Le Conseil des ministres est formé le 26 septembre. Richard Le Hir est nommé ministre de la Restructuration.

6 décembre 1994

Jacques Parizeau dépose un avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec à l'Assemblée nationale. Il annonce la mise sur pied de commissions régionales sur l'avenir du Québec, qui siégeront entre les mois de janvier et mars 1995.

28 mars 1995

Le président de la Standard Life, Claude Garcia, soulève la controverse lorsqu'il promet que le camp du Non va «écraser» les souverainistes.

11 juin 1995

Entente entre Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Mario Dumont pour la campagne référendaire. Bouchard et Dumont obtiennent l'assurance que la question référendaire offrira un «partenariat politique et économique» avec le reste du Canada.

11 juillet 1995

Une déclaration de Jacques Parizeau lors d'une rencontre privée avec les ambassadeurs à Ottawa sème la controverse. Le premier ministre aurait dit que, une fois le Oui vainqueur, les Québécois seraient comme dans «une trappe à homard».

20 septembre 1995

La question référendaire est adoptée à l'Assemblée nationale: «Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995?»

1er octobre 1995

Adoption du décret fixant le référendum au 30 octobre. Lancement officiel de la campagne des camps du Oui et du Non.

7 octobre

Pour relancer la campagne du Oui qui s'essouffle, Jacques Parizeau accepte de désigner Lucien Bouchard, le chef du Bloc québécois, comme «négociateur» du Québec auprès d'Ottawa dans l'éventualité d'une victoire du Oui.

27 octobre

Plus de 70 000 personnes venues de partout au Canada manifestent à Montréal leur appui au Non. Les souverainistes dénoncent ce geste, qu'ils considèrent comme une entorse à la Loi sur les consultations populaires.

30 octobre

Un nombre record de 4 757 509 Québécois se rendent aux urnes, soit 93,5% des personnes habilitées à voter. Le Non l'emporte avec 50,58% des suffrages, contre 49,42% pour le Oui.