Il n'y aura plus de référendum sur l'avenir du Québec, croit Daniel Johnson. Passé depuis 12 ans dans les bureaux somptueux de McCarthy Tétrault, l'ex-premier ministre, chef de l'opposition en 1995, surplombe de 25 étages la place du Canada, où 70 000 personnes venues de partout au pays avaient déferlé pour appuyer la campagne du Non.

On était à trois jours du référendum. Quinze ans plus tard, celui qui l'a emporté de justesse est convaincu que ce combat fratricide entre Québécois sera le dernier.

Car depuis 15 ans, le Québec vit à l'heure de la mondialisation. Le libre-échange existait en 1995, mais il a pris toute son importance avec l'ALENA. On parle désormais d'abolir les frontières commerciales entre le Canada et l'Europe. Or, cette ouverture a produit une race nouvelle de Québécois, croit M. Johnson. «Je ne vois pas revenir le débat sur la nécessité de créer une frontière additionnelle», dit-il dans un entretien qu'il a accordé cette semaine à La Presse.

«Je ne vois pas de majorité au Québec, qui, tout à coup, se manifesterait pour que le Québec soit un pays séparé. Je pense que c'était le dernier référendum.»

C'est lui qui a gagné, le soir du 30 octobre. Mais bien peu de Québécois s'en souviennent. On se rappelle davantage de la descente aux enfers du côté fédéraliste: avant l'entrée en scène de Lucien Bouchard, deux mois avant le scrutin, le Non l'emportait facilement. Or, le soir du vote, l'avance du Non a été ramenée à presque rien. Des 4,7 millions d'électeurs, dont 93% s'étaient prévalus de leur droit de vote, il aurait suffi que 27 145 personnes changent d'opinion pour que le Oui l'emporte.

Pour Daniel Johnson, le camp souverainiste a su habilement jouer sur l'ambiguïté d'une question rassurante qui portait sur le partenariat à venir avec le Canada. Plus de 20% des électeurs croyaient que, si le Oui l'emportait, ils resteraient canadiens. «Les gens ont voté sur le partenariat, sans quoi ce serait resté 60-40 (le score de 1980)», estime M. Johnson.

Et il y a eu aussi l'effet Bouchard. «Les gens disaient: c'est Lucien Bouchard, le négociateur. Lucien Bouchard a permis au PQ de s'éloigner du message dur de Parizeau.»

L'effet Bouchard était «prévisible», croit-il, mais il a été dévastateur. «Il n'y avait plus aucun chiffre qui tenait, plus aucune réalité objective.»

Une énorme perte d'énergie

Issu d'une famille qui a donné trois premiers ministres, Daniel Johnson est désormais bien en retrait de la joute politique. Dans les bureaux d'avocat feutrés où il pratique, on ne croise personne dans les immenses couloirs aux parquets de bois blond, si impeccables qu'on croirait marcher sur une table.

Affable, courtois, Daniel Johnson a oublié ses blessures de campagne, ses affrontements quotidiens avec les médias. Mais il pense au mois d'octobre 1995 avec tristesse. «Ce qui m'a peiné dans la stratégie du Parti québécois, c'est qu'on a inscrit la division dans le peuple. Quand on est 7 millions, on n'a pas besoin de faire ça. Le PQ nous a conviés deux fois en 15 ans à cet exercice si affaiblissant. On utilise des ressources pour faire dire à un peuple le contraire de ce que pense la majorité. C'est irresponsable et c'est une énorme perte d'énergie!»

Lors de la campagne, Daniel Johnson s'était refusé à faire une proposition constitutionnelle. Quinze ans plus tard, il n'a pas changé d'idée. Le fardeau de la preuve, à son avis, revient à ceux qui proposent «le changement radical».

Il n'a jamais cru que le Québec se séparerait, même si le Oui l'avait emporté le 30 octobre. «On ne brise pas un pays sur un dépouillement judiciaire.»

Un love-in qui dérape

Un souvenir domine chez Daniel Johnson: la difficulté à maintenir la cohérence dans la large coalition du camp du Non. «Ça va des nationalistes à des gens qui sont ultrafédéralistes et disent: «Nous, on défend le Canada!»» souligne-t-il en frappant sur la table. «On a de tout... et les partitionnistes apparaissent subitement!»

Illustration parfaite de cette cacophonie, le love-in de Montréal, le 27 octobre 1995. Plus de 70 000 personnes de tout le Canada s'étaient retrouvées au centre-ville de Montréal. «Cela avait pourtant commencé avec l'idée que les gens descendent des tours à bureaux du quartier, avec leur lunch du midi. On prévoyait 25 000 personnes, un grand rassemblement qui allait dynamiser la campagne.»

Or, l'enthousiasme pancanadien «est venu gâter la sauce, diluer l'effet montréalais. Des gens se sont dit: «Enfin, on a l'occasion d'aller dire aux fédéralistes québécois qu'on les appuie.» Et c'est là que ça a dérapé».

Les transporteurs aériens ont offert des billets au rabais, des transporteurs ferroviaires ont fait de même. «Le lendemain matin, Guy Chevrette a annoncé que cela avait coûté 4,3 millions», raconte aujourd'hui M. Johnson. «Dès le début, j'avais dit que ce n'était pas une bonne idée.»

Et surtout, conclut-il, cela illustrait, de la part du Canada anglais, la «méconnaissance du fait que Meech était resté sur le carreau. Tout ce monde-là arrivait cinq ans trop tard. Le référendum de 1995, c'était le dernier écho de l'échec de Meech».