«C'est certain que ça va être rapidement contesté. C'est inévitable», assure l'avocat Brent Tyler au sujet de la Loi 115, que le parlement va adopter sous le bâillon tôt mardi matin.

C'est Me Tyler qui avait défendu des parents en Cour d'appel puis en Cour suprême pour faire invalider la Loi 104, qui interdisait le recours aux écoles passerelles.

L'ancien président d'Alliance Québec avait gagné. Il estime aujourd'hui que la nouvelle Loi 115 ne répond pas aux exigences de la Cour suprême et qu'elle sera donc contestée, puis invalidée à son tour.

Il se dit prêt à reprendre le combat. «Ça va devoir passer par un tribunal administratif, une révision judiciaire, la Cour d'appel et ensuite la Cour suprême. Mais à la fin, je pense qu'elle sera cassée», prévoit-il.

Selon lui, la loi est «arbitraire». Elle permet à un francophone ou à un allophone de fréquenter le réseau public anglais à condition d'avoir passé trois ans dans une école non subventionnée et d'avoir un parcours jugé «authentique». L'authenticité est évaluée par un fonctionnaire qui accorde des points à l'élève en fonction d'une série de critères. La note de passage est de 15 points.

«On laisse un fonctionnaire enlever des points pour plein de détails, par exemple si la soeur d'un élève a fréquenté le réseau francophone. On peut déduire jusqu'à huit points sans même devoir donner de justifications. C'est la définition même de l'arbitraire. Les tribunaux n'avaleront pas ça», lance Me Tyler.

Si le gouvernement abandonnait son évaluation de l'authenticité, la contestation serait «beaucoup plus difficile», juge Me Tyler: «J'ai tendance à croire que la Cour suprême aurait accepté une telle mesure.»

L'avocat croit que la solution du PQ - appliquer la Loi 101 aux écoles non subventionnées - serait «facilement attaquable». Et en y ajoutant la clause dérogatoire? Plusieurs juristes estiment que cette clause serait sans effet parce qu'elle ne s'applique pas au droit à l'instruction dans la langue de la minorité.

Me Tyler n'est pas si optimiste. «Le juge Hilton de la Cour d'appel du Québec a dit que la clause dérogatoire ne s'appliquerait pas (à la langue d'enseignement). Mais le juge Dalphond, lui aussi dans la majorité, n'était pas d'accord là-dessus. Il avait suggéré au gouvernement la position défendue aujourd'hui par le PQ. Si la clause dérogatoire bloquait les contestations, on pourrait seulement se plaindre à la Commission des droits de l'homme de l'ONU, comme on l'avait fait avec le gouvernement Bourassa.»

Débats acrimonieux

À l'Assemblée nationale, où les élus ne disposaient que de 12 heures pour discuter du nouveau projet de loi 115, qui leur avait été présenté le matin même, le ton a été particulièrement acrimonieux. «C'est un des coups les plus lâches jamais portés à la langue française au Québec», a tonné Pierre Curzi, critique du PQ sur les questions linguistiques.

Tant la loi elle-même que le recours au bâillon ont soulevé la colère du PQ. Selon M. Curzi, il s'agit carrément de «l'équivalent de la Loi sur les mesures de guerre sur la scène parlementaire». Il a même invité Christine St-Pierre, ministre responsable de la Charte de la langue française, à «réfléchir à son avenir», car elle aurait «perdu toute légitimité pour défendre la langue française». Le PQ avait récemment utilisé la même formule pour inciter le premier ministre Charest à démissionner. M. Curzi reproche au gouvernement d'avoir décidé d'adopter son projet de loi avant même d'entendre les témoignages rendus en commission parlementaire.

Le chef de l'ADQ, Gérard Deltell, a déploré que le gouvernement ait attendu huit mois après le jugement de la Cour suprême pour présenter son projet de loi.

Le gouvernement, de son côté, a passé peu de temps à défendre la Loi 115. Il a plutôt répondu aux critiques en contre-attaquant sur d'autres sujets. Le premier ministre Charest a accusé encore une fois le PQ d'être «radical» parce qu'il veut assujettir les écoles non subventionnées à la Loi 101 et parce qu'il a embauché un ancien felquiste, Rhéal Mathieu, pour piloter une campagne publicitaire.

M. Mathieu a posé des affiches réclamant la démission de libéraux dans quelques circonscriptions chaudement disputées aux dernières élections. En 1967, il avait été condamné à neuf ans de prison pour homicide involontaire après avoir participé à un attentat à la bombe qui avait tué deux personnes. En 2001, il a aussi été reconnu coupable de possession d'arme et d'avoir incendié trois cafés Second Cup.

Mme Marois, quant à elle, rageait. «Nous avons toujours dénoncé la violence», a-t-elle rappelé. «Ce que nous attendons de notre premier ministre, c'est qu'il défende ce petit peuple en Amérique», a-t-elle ajouté plus tard.

Les libéraux l'ont aussitôt narguée sur l'utilisation du terme «petit peuple». «Petit en nombre!» a-t-elle hurlé, courroucée.