Quand il a été nommé négociateur en chef du gouvernement, les syndicats étaient sceptiques étant donné son inexpérience. Quand il a recommandé une démarche accélérée de négociations, comme le voulait le front commun, des mandarins l'ont trouvé naïf. Et pourtant, Pierre Pilote est aujourd'hui considéré comme l'un des facteurs du succès des dernières négociations du secteur public.

Sa nomination est passée à peu près inaperçue au début de l'an dernier. Surprenante pour le front commun syndical, elle s'inscrivait toutefois dans le nouveau plan de match du gouvernement.

 

À la suite des élections générales de décembre 2008, le premier ministre Jean Charest confie les rênes du Trésor à sa fidèle complice, Monique Gagnon-Tremblay, qui succède à Monique Jérôme-Forget. Une «grand-maman» succède à la «dame de fer», résume-t-on dans le camp syndical.

L'objectif de la nouvelle ministre: éviter la répétition du psychodrame des dernières négociations, en 2005, qui s'étaient conclues par un décret. Pour y arriver, elle mise sur un changement de ton.

Elle prend la décision, audacieuse, de remplacer le négociateur en chef Jean-François Munn, un homme expérimenté qui a été coordonnateur des négociations à la CSN, haut fonctionnaire puis avocat dans le secteur privé. Son choix s'arrête sur Pierre Pilote, mi-quarantaine, avocat à la firme montréalaise Gowlings, spécialisé en droit du travail.

«Jean-François Munn et Pierre Pilote, ce sont deux personnalités complètement différentes. Ça ne se peut pas, être différents à ce point-là», affirme une source syndicale au coeur des négociations. Le premier est plutôt combatif. Le second, «affable et gentil». Ce ne sont pas exactement les qualificatifs associés à un négociateur patronal... Pour le front commun, le changement de garde était de bon augure pour le climat des pourparlers.

Mais il y avait un hic, selon les syndicats: l'inexpérience de Pierre Pilote en matière de négociations dans le secteur public. «Il ne nous donnait pas l'impression de vraiment comprendre les rouages de la machine», lance un représentant syndical.

«Au départ, certains ont dit: «Il n'a pas d'expérience là-dedans, il n'a jamais négocié dans le secteur public, qu'est-ce qu'il fait là?» confirme Pierre Pilote en entrevue téléphonique. Mais ça fait 22 ans que je fais des relations du travail, et ce n'était pas la première fois que je me présentais à une table de négociations.»

Avant d'être nommé négociateur en chef, Pierre Pilote n'avait reçu jusque-là qu'un seul mandat du gouvernement: Québec lui avait demandé de mettre en place un nouveau régime de relations du travail pour les éducatrices de garderie en milieu familial. Son travail avait été remarqué.

«Je voulais que ces négociations-là soient différentes, différentes des autres à tous les points de vue - dans le ton, sans affrontement, avec un nouveau négociateur en chef qui partageait ma façon de travailler», a expliqué Monique Gagnon-Tremblay le 25 juin, lors de l'annonce de l'improbable entente de principe sur les salaires.

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Dans sa pratique, Pierre Pilote agit surtout à titre de procureur patronal dans des litiges devant les tribunaux administratifs. Il a également représenté la Société générale de financement à la commission d'enquête sur le fiasco de la Gaspésia.

Un haut fonctionnaire qui a connu Pierre Pilote à l'Université de Montréal, au milieu des années 80, a suggéré sa candidature à titre de négociateur en chef. Le sous-ministre responsable des négociations, Clément D'Astous, l'a rencontré. Puis Monique Gagnon-Tremblay a procédé à sa nomination.

Pierre Pilote était déjà bien connu au gouvernement libéral. Lors des deux dernières campagnes électorales, il avait été le négociateur de Jean Charest pour les débats télévisés des chefs. Il contribue à la caisse du PLQ. Il a siégé au Conseil de l'unité canadienne. Son frère aîné, François Pilote, est organisateur de longue date de M. Charest - au Parti conservateur dans les années 90, puis au Parti libéral du Québec.

Pierre Pilote militait au Parti conservateur bien avant son frère. «C'est lui qui m'a amené en politique. Je ne connaissais pas ça du tout!» confie François Pilote, président du Groupe GVM Communication. «Il peut être très convaincant. Quand il veut quelque chose, il est capable de l'avoir.»

Pierre Pilote a rencontré pour la première fois ses vis-à-vis syndicaux au printemps 2009. Le front commun, qui venait à peine de naître, lui a fait une proposition: entreprendre une démarche accélérée de négociations pour parvenir à une entente autour du 31 mars, à l'échéance des conventions collectives. Or, de telles négociations durent en général deux ans! «Ça n'a jamais joué en notre faveur, le fait que ça prenne beaucoup de temps», explique un négociateur syndical.

L'idée a plu à Pierre Pilote. Son ouverture s'explique peut-être par le fait qu'il n'a jamais vécu de négociations dans le secteur public, dit-on dans le camp syndical. «Il ne tenait pas pour acquis que c'était impossible de s'entendre rapidement. Si ça avait été un autre représentant patronal, il aurait ri pendant deux jours. Il aurait balayé ça d'un revers de main.» Le front commun comptait lui-même bien des sceptiques.

«Pierre Pilote a réussi à vendre ça de l'autre bord, et il faut lui donner ça, affirme le représentant du front commun. C'est un facteur déterminant que l'on se soit entendu rapidement sur la manière de faire.»

La «vente» n'a toutefois pas été facile. «Il y avait de la résistance, affirme Pierre Pilote. Et beaucoup de scepticisme, au Trésor et dans l'ensemble du gouvernement. On me disait naïf.»

Monique Gagnon-Tremblay a néanmoins accepté sa recommandation, déterminée à «faire les choses différemment». «C'est un moment important, quant à moi, parce que tout le reste a suivi, souligne M. Pilote. Je dirais que ma contribution a été dans le changement de ton et de façon de faire.»

La «démarche accélérée», dont les paramètres ont été définis par les deux parties, s'est mise en branle et a porté ses fruits. Un exemple: le gouvernement a répondu aux demandes syndicales un mois après leur dépôt, du jamais vu. Petit à petit, les ententes de principe sur les clauses non pécuniaires se sont succédé. Non sans peine toutefois.

Le climat des négociations est demeuré serein. Avec Pierre Pilote, «ça commençait et ça finissait avec du badinage. Et entre les deux, les discussions étaient sérieuses», raconte-t-on au sujet de cet homme discret qui est demeuré loin des caméras.

Quant à l'enjeu capital des salaires, une rencontre au sommet entre Jean Charest et les chefs syndicaux a été déterminante. C'est ce qui a permis d'arriver à un règlement avant les vacances estivales, en un temps record. «Pas grand monde n'y croyait» à certains moments, et même dans les derniers jours de discussions, dit un représentant syndical. Ceux qui y croyaient «se comptaient sur les doigts d'une main».

Pierre Pilote était du nombre. Et les sceptiques ont été confondus.