Le 22 juin 1960, l'élection de «l'équipe du tonnerre» des libéraux de Jean Lesage a amené la Révolution tranquille dans sa phase active. La Presse a rencontré deux acteurs importants de cette époque pas si lointaine.  

«C'est le temps que ça change!» Au printemps de 1960, le slogan du Parti libéral rappelait aux électeurs que la province de Québec venait de passer 16 ans sous le régime de l'Union nationale, dont 15 sous la poigne de fer de Maurice Duplessis, disparu neuf mois plus tôt.  

Paul Sauvé, successeur du «Cheuf» au poste de premier ministre, avait fait naître l'espoir d'un renouveau en faisant adopter un train de mesures législatives très progressistes pour un gouvernement aussi attaché à la tradition -et au pouvoir. Mais le dauphin de Duplessis meurt à son tour, le 2 janvier 1960, après seulement 112 jours en poste. Lui succède Antonio Barrette, ancien ouvrier de Joliette qui n'a aucune des qualités requises pour être chef de parti ou de gouvernement. Reste «la machine» de l'Union nationale, une organisation bien dotée aux méthodes éprouvées: «graisser» untel, menacer l'autre, traiter l'adversaire d'athée et de communiste.

Aux trois B des bleus (Barrette, Maurice Bellemare, le «lion de la Mauricie», et Jos Bégin), les libéraux opposent leurs trois L: Lesage, Lapalme, Lévesque. L'avocat montréalais Jean Lesage, ministre fédéral sous Louis Saint-Laurent, a été élu chef des libéraux du Québec en 1958; il succédait à Georges-Émile Lapalme, qui était chef du PLQ depuis 1950. Quant à René Lévesque, il est le seul de l'intelligentsia anti-duplessiste - Pierre Elliott Trudeau, Gérard Pelletier, Jean Marchand, etc. - à sauter dans l'arène.

«L'arrivée de René Lévesque dans notre parti avait constitué une grande nouvelle», raconte Paul Gérin-Lajoie, qui, à 90 ans, est aujourd'hui le seul survivant des 15 ministres du premier cabinet de Jean Lesage. «La télévision l'avait rendu très populaire.» Popularité qui avait atteint son sommet lors de la grève des réalisateurs de Radio-Canada (1958), quand le bouillant animateur de Point de mire avait pris fait et cause pour les grévistes, ce qui mènera à son congédiement de R.-C. au début de 1960.

Jean Lesage le grandiloquent et René Lévesque l'infatigable forment un dangereux tandem sur l'estrade. «Les Québécois ont toujours apprécié l'éloquence», souligne M. Gérin-Lajoie. Il évoque la «parole d'argent» de Wilfrid Laurier, puis Honoré Mercier, Henri Bourassa, «tous de grands orateurs».

Inlassablement, René Lévesque, à qui le lutteur Jean Rougeau sert de garde du corps, tape sur les deux mêmes clous. Le premier: le prix de «une cenne la tonne» que payent à la province les sociétés américaines pour le minerai de fer qu'elles tirent du sous-sol québécois. L'autre cheval de bataille de «Ti-Poil» est le scandale du gaz naturel mis au jour en 1958 par le journaliste Pierre Laporte du Devoir, futur ministre libéral qui sera assassiné par le FLQ en octobre 1970. Certains ministres de Duplessis avaient profité de la privatisation du secteur gazier d'Hydro-Québec pour acheter des actions de la nouvelle société avant que celles-ci ne soient offertes au public.

Paul Gérin-Lajoie, de son côté, explique aux cultivateurs de Vaudreuil-Soulanges que l'école gratuite et obligatoire représente la seule voie vers le progrès. Mais le changement, rappelle-t-il, prend plusieurs visages. «Ma femme, qui faisait campagne à mes côtés -une chose tout à fait nouvelle pour l'époque-, allait dans les assemblées de cuisine pour expliquer notre programme. Mais les femmes ne voulaient parler que d'une chose: la pilule anticonceptionnelle.»

La nouvelle pilule trouve un marché florissant dans le Québec de plus en plus urbanisé et industrialisé de 1960, où la «noirceur» n'est pas aussi grande qu'on le prétendra plus tard.

Le soir du 22 juin, «l'équipe du tonnerre» de Jean Lesage prend le pouvoir. Elle fait élire 51 députés (avec 51% des voix), contre 43 députés pour l'Union nationale. «La machine infernale, avec sa figure hideuse, nous l'avons écrasée!» lance Jean Lesage à la télévision de Radio-Canada. Le Québec, tout le monde le sent alors, entre dans une phase nouvelle de son histoire.

René Lévesque est nommé ministre des Ressources naturelles et Paul Gérin-Lajoie, ministre de la Jeunesse. À l'exception du nouveau premier ministre, personne dans le cabinet n'a la moindre expérience ministérielle. «Ça n'a pas été un problème», dit Paul Gérin-Lajoie, boursier Rhodes (1945) qui avait fait son doctorat en droit constitutionnel à Oxford. «M. Lesage était un homme d'action. À la première réunion du cabinet, on s'est mis au travail, simplement.»

À la suggestion de PGL et comme la loi le lui permet, le premier ministre signe un décret qui donne au ministre de la Jeunesse toutes les responsabilités relatives à l'éducation, du Département de l'instruction publique aux écoles de métiers en passant par le transport scolaire. La «Grande Charte de l'éducation», bientôt adoptée, pose les bases du futur ministère de l'Éducation, dont Paul Gérin-Lajoie sera le premier titulaire.

La Quiet Revolution prend de la vitesse et touchera toutes les facettes de la société québécoise. «La Révolution tranquille a transformé les Québécois, tant du point de vue personnel qu'institutionnel», résume Paul Gérin-Lajoie, qui a été au centre de ce bouleversement historique que chacun, selon sa culture et ses allégeances, interprète depuis à sa façon. «La plus grande erreur de perception, dit M. Gérin-Lajoie, est de croire que la Révolution tranquille était un processus inexorable qui s'est produit indépendamment des acteurs du moment.»