Le premier ministre Jean Charest accuse la chef péquiste Pauline Marois d'utiliser la maladie du ministre Claude Béchard à des fins politiques.

Mardi, à la sortie d'une réunion du caucus libéral, affichant une mine outrée, M. Charest a dit en point de presse qu'il n'avait jamais vu pareille chose de sa carrière politique.

Selon son interprétation, dimanche dernier, en marge d'un colloque du Parti québécois (PQ), Mme Marois aurait prétendu qu'elle était prête à renverser le gouvernement, en misant sur l'absence en Chambre du ministre de l'Agriculture, Claude Béchard, atteint de cancer et en congé de maladie depuis janvier.

En fait, en point de presse à Drummondville, Mme Marois a dit qu'elle n'hésiterait pas à renverser le gouvernement, si l'occasion se présentait, compte tenu que sa majorité, déjà mince, était encore rendue plus fragile depuis l'éviction de Tony Tomassi du caucus libéral et l'absence «d'un député (qui) a des problèmes de santé», en faisant allusion à M. Béchard.

Aux yeux du premier ministre, une telle déclaration de la chef péquiste est totalement déplacée, et «donne toute la mesure du personnage».

«Pour quelqu'un qui fait de la politique, planifier son avenir en fonction de la santé d'autres personnes, je n'ai jamais vu ça. C'est une première», a ajouté le premier ministre, en anglais.

La sortie du premier ministre a laissé pantois le camp péquiste, qui a d'abord cru à un canular.

Secouée, la chef péquiste a réagi en soirée pour dire qu'elle était «tout simplement estomaquée de voir à quel point M. Charest et son parti sont désespérés pour proférer de telles absurdités».

Elle laisse entendre que c'est plutôt le premier ministre qui cherche à tirer profit de la maladie de son ministre.

«Jamais nous ne jouerons sur la maladie de qui que ce soit, et nous en attendons autant de la part du premier ministre», écrit-elle dans une déclaration transmise aux médias.

Elle ajoute que «la majorité du gouvernement ne tient pas à l'absence ou la présence de M. Béchard à l'Assemblée nationale. Nous sommes 50, nous savons compter et il est mathématiquement impossible pour nous de renverser le gouvernement».

Ses propos rejoignent ceux de son leader parlementaire, Stéphane Bédard, qui estime aussi que le premier ministre doit être rendu vraiment «désespéré» pour tirer de telles conclusions des propos de sa chef, qui n'avaient rien à voir avec l'interprétation faite par M. Charest.

«Je suis triste et dégoûté», a-t-il dit, en entrevue téléphonique, en ajoutant que lui aussi n'avait jamais vu pareille situation depuis qu'il fait de la politique.

M. Charest devra répondre de ses actes, a ajouté M. Bédard, et faire son examen de conscience, à la suite de ses propos.

Chose certaine, cet échange de propos très durs constitue un nouvel épisode de la relation de plus en plus acrimonieuse qui semble prévaloir entre M. Charest et Mme Marois.

La sortie de M. Charest a fait mouche, d'autant plus qu'elle était appuyée par le premier intéressé, Claude Béchard, qui a interrompu momentanément sa convalescence pour s'indigner des propos de la chef péquiste.

«C'est pas une grande leçon de compassion de dire que tu comptes sur la santé de quelqu'un pour peut-être renverser le gouvernement», a-t-il commenté.

Le ministre, atteint d'un cancer du pancréas, a dit qu'il avait bien hâte de reprendre ses fonctions pour lui donner tort.

La déclaration de Mme Marois a donc constitué «une source de motivation» supplémentaire pour revenir au parlement au plus tôt, a dit M. Béchard, reconnu pour sa combativité.

Très amaigri mais l'oeil vif, M. Béchard, qui doit toujours suivre des traitements, a laissé entendre qu'il pourrait revenir au boulot dans quelques semaines, si tout va bien. Il a dit vivre au jour le jour.

Quoi qu'il en soit, le scénario d'un renversement du gouvernement en Chambre relève de la «politique-fiction», a plaidé de son côté M. Charest.

Il est «difficile de trouver autant d'arrogance dans une seule fin de semaine», a-t-il ajouté, en faisant référence aux déclarations de sa rivale au cours du week-end dernier.

Le whip en chef du gouvernement, Pierre Moreau, n'a pas du tout apprécié lui non plus le scénario de «pensée magique» évoqué par la chef péquiste.

«C'est impossible» que le PQ puisse renverser le gouvernement, a assuré celui qui est chargé de garantir la présence des élus libéraux en Chambre.

Le caucus libéral est «solide et discipliné», a-t-il ajouté en point de presse.

«Si Mme Marois veut essayer des votes à l'Assemblée nationale, elle verra comment le caucus va réagir», a-t-il prévenu.

Selon ce scénario, il faudrait que l'opposition officielle s'associe aux autres députés d'opposition et profite d'une situation où le gouvernement n'aurait pas le nombre nécessaire de députés en Chambre, au moment d'un vote crucial, comme sur le budget par exemple.

Avec l'éviction récente de Tony Tomassi du cabinet et du caucus libéral, les libéraux ont désormais 66 sièges, contre 50 aux péquistes, quatre à l'ADQ et un à Québec solidaire. Trois députés sont indépendants et un siège est vacant, celui de Vachon, acquis au PQ et qui doit être comblé d'ici l'été.

La situation des libéraux est rendue encore plus fragile par le fait que deux députés libéraux, le président de l'Assemblée nationale, Yvon Vallières, et la vice-présidente, Fatima Houda-Pépin, ne votent pas, et que le ministre Claude Béchard est absent.