Le cabinet du ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis a posé un geste peu commun, sinon inusité, en intervenant dans le litige opposant la Sûreté du Québec et l'homme d'affaires libéral Luigi Coretti.

Le contrôleur des armes à feu à la Sûreté du Québec, Yves Massé, a dit mardi ne pas se souvenir d'avoir été l'objet d'une intervention similaire du bureau du ministre pour une affaire de port d'arme.

Responsable de l'émission des permis de port d'arme, M. Massé a admis que le dossier de M. Coretti, qui contestait en 2008 le refus de la SQ de lui émettre un permis de port d'arme, est plutôt singulier.

Depuis son entrée en fonction en 2006, il n'a pas vu d'autre intervention du même genre.

«Non, je n'avais pas eu d'autre appel à ma connaissance», a dit M. Massé, prudent, en entrevue à La Presse Canadienne.

Le cabinet «ne m'appelle pas à tous les matins, c'est quand même rare», a-t-il ajouté.

Malgré l'appel logé par un responsable du cabinet du ministre Dupuis, le président de l'agence de sécurité BCIA n'a pas obtenu de traitement de faveur, a tenu à préciser M. Massé.

M. Coretti a été traité et façon «juste et équitable», de la même façon «que les autres», a-t-il dit.

Dans l'eau bouillante, le ministre Dupuis a profité de toutes les tribunes s'offrant à lui mardi pour défendre sa bonne foi et son sens de l'éthique.

Il a affirmé n'avoir exercé ni intervention, ni pression «indue» auprès de la Sûreté du Québec en faveur du donateur libéral Luigi Coretti.

A l'Assemblée nationale, M. Dupuis a dit n'avoir fait que son devoir en acceptant de rencontrer M. Coretti.

«Je suis le ministre de la Sécurité publique et à ce titre, j'ai la responsabilité de la loi sur la sécurité privée. Il est tout à fait normal, et je le referais aujourd'hui, de rencontrer un propriétaire d'agence de sécurité qui veut me rencontrer», a-t-il justifié.

Plus encore, M. Dupuis a défendu la décision de son chef de cabinet, Jocelyn Turcotte - il était conseiller politique au moment de la rencontre avec M. Coretti au printemps 2008 - de passer un coup de fil à la SQ pour s'enquérir du dossier.

Cette dernière information ne figurait pas dans la version des faits livrée jeudi dernier par le ministre.

M. Dupuis s'était limité à dire qu'il n'y avait pas eu de représentation de sa part et avait passé sous silence le fait que M. Turcotte s'était entretenu avec des responsables à la Sûreté du Québec à la suite de sa rencontre avec M. Coretti.

«Des interventions de la part du cabinet, ou du ministre auprès de la SQ, il y en à tous les jours. Pourquoi? Parce qu'il y a des citoyens, des groupes, des présidents d'organisme, des maires, qui à l'occasion se plaignent des services de police et c'est de la responsabilité du ministre et de son cabinet de s'informer», a lancé M. Dupuis pendant la période de questions.

Mais s'enquérir de l'état d'un dossier ne signifie nullement exercer une pression politique auprès de la police pour qu'elle revienne sur une décision, a ajouté le ministre.

«La limite que je m'impose, c'est de faire pression sur la SQ, qui prend des décisions de police et je n'ai pas à m'immiscer là-dedans», a-t-il dit.

Après ses entretiens avec le ministre Dupuis et M. Turcotte, Luigi Coretti a essuyé deux autres refus de la SQ: en mai et en juin 2008. Il a finalement obtenu le droit de porter une arme en juillet 2008.

Pour la chef de l'opposition officielle, Pauline Marois, le ministre de la Sécurité publique mérite d'être sanctionné pour avoir fourni des explications incomplètes sur le déroulement des événements.

«Il y a bien eu intervention. En laissant le ministre jouer sur les mots comme il le fait, le premier ministre perd toute crédibilité. Quelle sanction va-t-il prendre contre son ministre de la Sécurité publique?», a-t-elle lâché.

Quant à lui, le chef de l'Action démocratique, Gérard Deltell, est allé beaucoup plus loin, exigeant carrément la démission du ministre pour avoir fait preuve, selon lui, d'un «manque de jugement».

«Il s'agit là à notre point de vue d'une intervention directe du politique dans la gestion des affaires policières et c'est tout à fait inacceptable. Comment il se fait que le premier ministre tolère une telle dérive concernant l'implication du politique dans le monde policier?», a-t-il soulevé.

A son avis, une seule solution s'impose.

«Le premier ministre n'aura pas d'autre choix que de demander le départ de son ministre de la Sécurité publique», a souligné M. Deltell.