L'ancien premier ministre Lucien Bouchard, en accusant le PQ de s'être radicalisé et de se fermer aux néo-québécois, est passé «dans le clan des belles-mères», estime Pauline Marois.

«Qu'il sorte à ce moment-ci pour critiquer certaines de nos actions, cela doit le ranger dans ce clan», a soutenu Pauline Marois, mercredi, dans une réplique aux propos incendiaires de Lucien Bouchard.

Ce dernier avait provoqué un séisme mardi soir dans les rangs péquistes en soutenant que son ancien parti disputait désormais le terrain du radicalisme à l'ADQ. Le PQ, a-t-il dit, est un parti fermé sur lui-même. Il vaut mieux s'attaquer aux problèmes de l'économie et de la santé plutôt que de chercher à réaliser la souveraineté, un objectif devenu chimérique, selon lui. «Dans l'immédiat, au Québec, on a autre chose à faire qu'attendre quelque chose qui ne vient pas vite», a dit M. Bouchard, qui estime que le Québec avait d'urgents problèmes économiques à régler.

«Je ne me définis pas comme une radicale. Le Parti québécois est un parti de tolérance, d'accueil et d'ouverture», a répliqué mercredi Mme Marois, qui avait eu la veille un échange téléphonique plutôt sec avec son ancien patron.

À l'Assemblée nationale, aiguillonnée par un Jean Charest visiblement amusé de cette pagaille chez l'adversaire, Mme Marois a défendu les positions de son parti sur la question identitaire : «Défendre nos valeurs, notre identité, la langue française, l'égalité des hommes et des femmes, c'est défendre notre identité, notre vouloir-vivre collectif», a-t-elle lancé. À la réunion de son caucus, plus tôt, elle avait invité tous les députés à rester sereins, à ne pas se lancer dans une surenchère de déclarations pour répliquer à l'ancien premier ministre. Surtout, a-t-elle insisté, M. Bouchard soutient qu'il demeure souverainiste.

Selon l'ancien premier ministre, le PQ a «l'air de vouloir remplacer l'ADQ dans la niche du radicalisme». Le PQ devrait faire preuve de plus d'ouverture face aux immigrés, dit-il dans un désaveu de la stratégie de Mme Marois, qui a proposé un projet de loi sur l'identité québécoise l'automne dernier. Mme Marois s'est défendue d'avoir attaqué le sociologue Gérard Bouchard, le frère de l'ancien premier ministre, qui a présidé la commission d'enquête sur les accommodements raisonnables. «Mon frère (Gérard) s'est fait traiter d'Elvis Gratton par Pauline Marois ; je n'oublierai pas ça. Ça ne montrait pas beaucoup d'ouverture», a lancé M. Bouchard. Mme Marois a produit la transcription des propos qu'elle avait tenus à l'époque ; son allusion à Elvis Gratton ne visait pas le sociologue Bouchard.

Critiques unanimes

Chez les péquistes, les critiques à l'endroit de l'ancien chef et de ses propos incendiaires étaient unanimes. Bernard Landry estime que M. Bouchard «déraille» quand il sème le doute sur la souveraineté : «Il vient de faire une très grande erreur. D'abord, sur la souveraineté, il a une position désespérante : il dit qu'il est souverainiste mais qu'il ne la croit pas réalisable - ce n'est pas la réaction normale d'un homme engagé.»

Cette sortie aura un impact considérable au Québec comme dans le reste du pays, croit Bernard Landry : «Pendant des décennies, les Bourgault, Parizeau, Lévesque disent : "On veut l'indépendance !" Tout à coup, c'est l'effondrement ! Lucien Bouchard dit qu'elle n'est pas réalisable !»

Il réprouve aussi le fait que Lucien Bouchard ne croie pas utile de légiférer pour interdire le port du voile et de la burqa pourvu qu'on garantisse aux femmes le droit à l'égalité. «Bouchard encourage une pratique qui est l'incarnation même du viol des droits des femmes, tout en disant que ces droits doivent être respectés», observe M. Landry.

M. Bouchard erre aussi quand il dit que le PQ verse dans le radicalisme, croit Bernard Landry : «J'ai côtoyé René Lévesque, je l'ai connu pas mal plus que Lucien Bouchard ne le connaissait. M. Lévesque et son parti étaient tout à fait ravis que le Québec soit multiethnique, mais pas multiculturel.» Pour lui, M. Bouchard «abuse de la mémoire de René Lévesque, il s'en sert. Six mois avant sa mort, René Lévesque disait que le Québec doit être un pays reconnu», rappelle-t-il.

En faveur de Charest?

Pour sa part, Jean-François Lisée désapprouve aussi carrément les propos de l'homme dont il a déjà été le conseiller. Il va même jusqu'à dire que, curieusement, cette intervention arrive au moment où le premier ministre Jean Charest se retrouve régulièrement dans les câbles à l'Assemblée nationale. «Le fait est que, depuis neuf ans, les interventions publiques de M. Bouchard furent rares. On me corrigera si j'en ai manqué, mais presque chaque fois, ses interventions publiques ont plutôt servi au chef du Parti libéral, Jean Charest.»

Jean-Pierre Charbonneau, ancien ministre de Lucien Bouchard, croit lui aussi que Lucien Bouchard dénature la mémoire de René Lévesque, qui était ouvert aux autres communautés mais «sensible à la fragilité identitaire de son peuple».

Bernard Drainville, député de Marie-Victorin, trouve désolants les propos de Lucien Bouchard : «Je le respecte, je l'aime, mais s'il est trop fatigué pour poursuivre la lutte, je lui dis que je vais la poursuivre avec Mme Marois et mes camarades du PQ, pour faire l'indépendance du Québec.»

François Gendron, député d'Abitibi-Ouest, estime que cette intervention est «malheureuse» : «M. Bouchard est un grand bonhomme. C'est son opinion, mais ce n'est pas la mienne», s'est-il contenté de dire.

Ministre sous Lucien Bouchard, Louise Beaudoin, députée de Rosemont, désapprouve son ancien patron : «J'aimerais que Lucien Bouchard aille au bout de ses ambivalences, de ses ambiguïtés. Il dit qu'il est souverainiste, qu'il ne verra pas ça de son vivant et faisons autre chose. Moi, je dis : on est souverainistes, faisons-le, de mon vivant et du sien, et on peut en même temps s'attaquer au problème des finances publiques.»

Pour le député Jean-Martin Aussant, la sortie de M. Bouchard est celle «d'un frustré».

- Avec Tommy Chouinard