Le fameux «Centre d'analyse et de documentation» (CAD) mis en place par le gouvernement de Robert Bourassa n'avait absolument rien de la CIA. Une poignée de jeunes universitaires y rassemblaient de l'information essentiellement tirée des journaux ou des médias électroniques.

«Parler de «police politique», c'est très exagéré», explique l'historien Paul Bernier, qui, après son séjour au CAD, a fait une longue carrière au ministère des Relations internationales. Il est à la retraite depuis trois ans.

 

Tout comme un autre ancien employé du CAD, qui a accepté de parler à La Presse à condition que son identité ne soit pas révélée, M. Bernier estime même que les renseignements colligés dans une salle sans fenêtre au «bunker» du gouvernement Bourassa servaient en fait à «faire contrepoids» aux analyses plus sommaires et plus expéditives des policiers. «La crainte d'une CIA québécoise, cela nous faisait bien rire... on était des jeunes, historiens, sociologues, qui avaient des journaux une lecture différente de celle que pouvait avoir un enquêteur de la police», résume un ancien du CAD. Plusieurs ont eu depuis une brillante carrière dans l'administration publique à Québec.

Denis Lacasse, autre fonctionnaire à la retraite, réclame actuellement aux Archives nationales trois caisses contenant les documents du CAD.

En 1992, l'ancien ministre de la Justice Marc-André Bédard avait souligné que tous les dossiers touchant les individus avaient été détruits, mais que les fichiers sur les «associations» avaient été conservés. M. Lacasse a réécrit depuis son roman sur les coulisses de la crise d'Octobre, que Denis Vaugeois compte publier. La première version avait été passée au pilon parce que l'auteur s'était trop largement inspiré de Georges Simenon, «sans le citer». Ce plagiat «était une erreur», admet M. Lacasse.

Vaugeois, de son côté, souligne que le texte a été retravaillé de fond en comble. Pour l'ancien ministre, il est sûr que le CAD détenait des renseignements stratégiques sur les individus. Il se souvient qu'à l'époque où il était haut fonctionnaire, des candidats à des postes de fonctionnaire étaient mystérieusement bloqués parce qu'ils pouvaient être vus comme des sympathisants péquistes. L'ancien ministre Oswald Parent avait ainsi mis de côté un souverainiste de l'Outaouais. «Quand vous savez comment les partis politiques fonctionnent, pensez-vous que M. Parent avait besoin du CAD pour savoir qui était proche du PQ dans sa région ?» réplique l'ancien spécialiste du CAD.

Le PQ avait officiellement démantelé le CAD après les élections de 1976. M. Bernier soutient que, depuis plus d'un an déjà, il ne s'y passait plus grand-chose. Successeur du secrétaire général Julien Chouinard, Guy Coulombe n'aimait pas beaucoup cette mission.

«Parfois des informations venaient de la police... il y avait un paquet de groupuscules marxistes qui se tapaient sur la gueule», souligne M. Bernier. «Nos sources étaient plutôt publiques. Notre patron, Gilles Néron, avait ses contacts avec les corps de police mais, dans les dossiers, c'était des informations tirées des médias, des publications», résume-t-on. Des exceptions... Les jeunes fonctionnaires avaient par exemple reçu de la police des photos de rassemblements autochtones démontrant que des Américains étaient venus prêter main-forte à leurs frères de sang québécois.

«On ne criait pas sur les toits qu'on faisait ce travail», résume le fonctionnaire Bernier. Mais en décembre 1973, devant les questions du péquiste Robert Burns, Robert Bourassa avait divulgué publiquement la liste de la dizaine d'employés du CAD. «Robert Bourassa était toujours vague sur ce qui se faisait au CAD... J'ai toujours pensé que c'était pour que ses ministres se tiennent tranquilles !» ironise aujourd'hui M. Bernier.