Le chercheur Yves Boisvert a faussement accusé la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) d'avoir trafiqué son rapport sur les appareils de loterie vidéo et le jeu pathologique. Il vient de démissionner de son poste de directeur du Laboratoire d'éthique publique de l'ENAP.

La semaine dernière, Yves Boisvert a déposé une déclaration sous serment à la Cour supérieure pour corriger le témoignage qu'il avait fait en décembre dans le cadre du recours collectif de joueurs pathologiques contre Loto-Québec. Dans ce document de deux pages, il reconnaît que le Laboratoire d'éthique publique de l'INRS avait lui-même produit ce «rapport synthèse» à la demande de la RACJ, ce qu'il avait oublié. En plus d'être l'un des auteurs du rapport, il était à l'époque directeur du Laboratoire.

 

Le 11 décembre, devant le juge Gratien Duchesne, M. Boisvert avait affirmé sous serment que le rapport de 53 pages, déposé en cour par la RACJ, était un «document fabriqué» qui «ne peut être attribué» à son équipe de recherche. «C'est un document assez choquant et heurtant pour un chercheur parce qu'il y a des manipulations», ajoutait-il.

M. Boisvert avait raconté la même histoire à La Presse, qui a publié un texte le mois dernier. Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a aussitôt déclenché une enquête administrative, toujours en cours, sur la RACJ. Or, après vérifications, la Régie n'a pas trafiqué le rapport de l'INRS.

Cette affaire a commencé en 2002 lorsque la RACJ a octroyé un contrat à l'INRS pour la réalisation d'une étude sur les loteries vidéo et le jeu compulsif. À la fin de l'été, les quatre chercheurs - Yves Boisvert, Élisabeth Papineau, Yves Bélanger et Harold Vétéré - ont remis un rapport de 114 pages, critique de plusieurs aspects de la commercialisation des appareils. La RACJ a jugé que cette étude avait «un style éditorial que ne correspondait pas au mandat donné», selon son porte-parole, Réjean Thériault. À l'automne, l'INRS et la RACJ ont eu des échanges pour apporter des modifications.

Selon la version initiale de M. Boisvert, l'INRS avait remis à la RACJ en 2003 un seul rapport, de 114 pages. La Régie avait autorisé l'INRS à publier le document à la condition de ne pas révéler qui l'avait commandé.

Yves Boisvert disait n'avoir appris l'existence du rapport de 53 pages qu'à l'automne 2008, lorsqu'il a reçu un coup de fil de l'avocat Jean-Paul Michaud, qui représente les demandeurs dans le recours collectif contre Loto-Québec. Dans le cadre de cette requête, l'avocat avait demandé à la RACJ de déposer toutes ses études sur le jeu pathologique. L'organisme n'avait déposé que le rapport de 53 pages. Yves Boisvert a conclu que la RACJ avait «fabriqué» ce document, qu'elle avait tronqué le rapport de 114 pages. C'est ce qu'il a dit au juge Duchesne en décembre, puis à La Presse.

À la suite du déclenchement d'une enquête administrative le 19 mai, l'INRS a entrepris des recherches. Il a découvert que les allégations de M. Boisvert sont fausses. Le chercheur a informé la Cour supérieure dans une déclaration sous serment la semaine dernière. «Il appert de l'ensemble des correspondances retrouvées que les parties au contrat, l'INRS et la RACJ, se sont entendues afin que l'INRS produise un rapport synthèse du rapport de recherche de 114 pages», affirme M. Boisvert dans la déclaration sous serment. L'INRS a retrouvé un courriel daté du 17 février 2003 et envoyé à la RACJ par Allison Marchildon, à l'époque coordonnatrice du Laboratoire de l'INRS. Ce courriel contient les deux rapports. M. Boisvert l'avait reçu en copie conforme.

«Je constate aujourd'hui que le rapport synthèse de 53 pages émane bien du Laboratoire d'éthique publique dont j'étais le directeur à l'époque», indique-t-il dans sa déclaration sous serment. Et si M. Boisvert n'a pas fait lui-même le rapport de synthèse, il en a demandé la production. «Je prie cette Cour, les parties en l'instance de même que la RACJ d'accepter mes plus sincères excuses découlant de mon oubli», ajoute le chercheur, qui n'a pas voulu faire de commentaires à La Presse hier.

«Dès qu'il a découvert son oubli, il a apporté les précisions à la Cour, a dit son avocat Pierre A. Gagnon. Il a fait ce qu'il avait à faire. (...) Ce n'est pas la première fois que les gens témoignent de mémoire et font une erreur.»

Démission

Yves Boisvert, qui est aujourd'hui à l'ENAP, a démissionné de son poste de directeur du Laboratoire d'éthique publique de cette institution le 21 mai. «Compte tenu de l'importance de l'erreur, nous avons accepté sa démission», a affirmé le directeur des communications de l'ENAP, Dominic Beaulieu. M. Boisvert «a affirmé des choses sans avoir pris le temps de vérifier. Dans son domaine, l'éthique, c'est un peu embêtant», a-t-il ajouté. M. Boisvert demeure toutefois professeur en éthique.

Yves Bélanger, l'un des auteurs du rapport, est renversé. Il n'avait pas été informé de la production d'un document de synthèse en 2003. «Moi, j'avais acheté la version» de M. Boisvert exposée en cour, a-t-il dit. «Ce que j'apprends maintenant, ça me coupe les jambes.»

La RACJ et l'INRS refusent de commenter l'affaire tant que l'enquête administrative n'est pas terminée.