Fini, les boissons énergisantes pour les soldats canadiens déployés en Irak. Qualifiée de « risque potentiel pour les opérations » et de « souci au regard de la sécurité et des effets sur la santé », la consommation de ces boissons a été interdite à tout le personnel militaire et civil affecté à l'opération Impact, sous peine de mesures disciplinaires.

« Cette directive existe pour minimiser les risques opérationnels ainsi que pour assurer la santé et la sécurité des individus », écrit le commandement de la Force opérationnelle interarmées en Irak dans une directive officielle transmise le 13 août dernier. « Tout défaut de se conformer à cet ordre est une offense relevant de la Loi sur la défense nationale et sera traité en conséquence, ce qui inclut des sanctions administratives et/ou disciplinaires », ajoute la note non classifiée.

La Force opérationnelle interarmées en Irak est un contingent de 850 soldats déployés en Irak depuis 2014 pour combattre le groupe armé État islamique (Daech). Sa mission en est largement une de soutien aérien.

La consommation de boissons énergisantes par les soldats « est une problématique flagrante », affirme le chercheur Dave Blackburn, spécialiste de la recherche en santé mentale chez les militaires à l'Université du Québec en Outaouais. Il a lui-même constaté son ampleur alors qu'il était déployé en Afghanistan au sein de l'armée, à titre de clinicien en santé mentale, en 2006. 

« C'est une problématique qui touche particulièrement les jeunes recrues et les soldats de rang inférieur, comme les caporaux et les caporaux-chefs. »

Le chercheur Dave Blackburn

Une étude américaine publiée dans la revue Military Medicine en 2014 indique que 45 % des soldats américains déployés en Afghanistan en consommaient au moins une par jour. Une autre étude publiée dans Nutritional Neuroscience rapporte que certains soldats ingèrent jusqu'à 2000 mg de caféine par jour avec ces boissons, soit l'équivalent de 10 cafés format moyen chez Tim Hortons.

Liée au stress post-traumatique

La consommation abusive de boissons énergisantes est souvent liée au syndrome de stress post-traumatique. « Les gars sont sur les bases avancées pendant trois semaines consécutives, ils se font attaquer, ça devient une façon de rester éveillés et alertes. Mais ça a des effets secondaires reconnus qu'on ne peut pas négliger », explique M. Blackburn. 

« Ce que j'ai vu en Afghanistan, c'est principalement des soldats qui ont de la difficulté à s'adapter aux situations. Le premier impact, c'est de n'être plus capable de dormir. La personne spinne dans son lit, pense à tout ça, n'est pas capable de trouver de solution et pense à ça toute la nuit. »

« Comme c'est difficile encore aujourd'hui d'aller raconter ses problèmes à son adjudant, les gens prennent ces boissons en se disant qu'au moins, ils arrivent à faire leurs tâches correctement. Mais c'est une béquille qui ne règle pas la source du problème. » 

- Le chercheur Dave Blackburn

« Ils cherchent une forme d'engourdissement qui les coupe du monde qui les entoure et leur permet de lutter contre l'immense fatigue qui les envahit », ajoute le chirurgien suisse Daniel Dufour, qui a opéré des centaines de soldats blessés et qui est l'auteur du livre Le bout du tunnel : guérir du trouble de stress post-traumatique

« Ça arrive que ces boissons les calment plutôt que les exciter. Ce sont des réactions paradoxales », précise le chirurgien, qui croit cependant que l'alcool et les autres drogues sont davantage utilisés par les soldats qui vivent de tels troubles.

Pire au front

Depuis quelques années, le service de la promotion de la santé de l'armée canadienne donne un breffage annuel à ses militaires au sujet de la consommation de boissons énergisantes lorsqu'ils se trouvent sur leur base militaire. « Je pense qu'il va falloir qu'ils renforcent ça, mais toutes les ressources nécessaires pour dépister un problème et venir en aide à un soldat qui serait dépendant sont présentes », dit M. Blackburn. 

En déploiement, le dépistage est cependant plus complexe. « En théâtre, on fait avec ce qu'on a. Les psychiatres sont là pour diagnostiquer des cas lourds. C'est assez rare qu'on va retourner au pays un membre qui a des problèmes de dépendance, il n'y aura pas de service de conseiller en toxicomanie », ajoute-t-il. 

« Par ailleurs, la consommation de ces boissons est perçue positivement. Ça te donne un boost d'adrénaline, tu te sens plus alerte, la fatigue disparaît, et tu n'as pas les facultés affaiblies. La personne qui consomme ça voit les bénéfices, mais pas nécessairement les mauvais côtés », conclut M. Blackburn.