«Regarde, c'est Martel pis Andrew Speer!»

L'homme qui venait de rebaptiser ainsi le chef conservateur se tenait sous la pluie jeudi à Saguenay, parmi des centaines de badauds, au départ du Grand défi Pierre Lavoie. Ce rendez-vous annuel des cyclistes est le lieu de prédilection DES politiciens qui veulent serrer des mains.

Et jeudi, ils étaient plusieurs à vouloir en serrer. Pas moins de quatre chefs de parti avaient fait le voyage à Saguenay pour la dernière ligne droite avant l'élection partielle de lundi dans Chicoutimi-Le Fjord.

Si l'homme à qui la langue a fourché semblait méconnaître Andrew Scheer, il connaissait parfaitement Richard Martel, le candidat conservateur qui tente de ravir la circonscription aux libéraux de Justin Trudeau.

Cette élection, rendue nécessaire par la démission du député libéral Denis Lemieux pour des raisons familiales, se présentait il y a quelques mois encore comme très favorable pour les troupes de Justin Trudeau. En octobre, le libéral Richard Hébert a remporté une élection partielle dans la circonscription presque voisine de Lac-Saint-Jean.

Mais l'arrivée dans le décor de Richard Martel, ancien entraîneur de l'équipe de hockey junior des Saguenéens de Chicoutimi, a changé la donne. Un sondage publié cette semaine par Le Quotidien et Radio-Canada le donne gagnant avec 36,3% des voix. La libérale Lina Boivin recueille seulement 20% des intentions de vote.

«Avec Richard, on va envoyer un message»

Dans le hangar d'une ferme laitière de Saguenay, Andrew Scheer s'est adressé aux journalistes. Sur une table, un petit buffet avec du fromage en grains, des chips, du café et même de la bière. Il était 10h30.

«Le gouvernement Trudeau n'écoute pas le Québec, sur la question de la marijuana, des immigrants illégaux à la frontière... Avec Richard, on va envoyer un message au Parti libéral», a lancé M. Scheer, qui était dans la région en même temps que les trois autres chefs de parti, preuve de l'importance de cette élection.

Richard Martel, qui s'est rendu célèbre dans les années 2000 par ses passes d'armes avec Patrick Roy, entraîneur des Remparts de Québec, était bien entouré. Sur place, le plus grand producteur de fromage en grains de la région, Luc Boivin, lui donnait son appui.

L'ancien député bloquiste Michel Gauthier était là également. L'homme à la carrure de footballeur et à la poignée de main de casse-noisette a fait une croix sur le Bloc québécois et soutient Martel. En entrevue avec La Presse, il a invité les souverainistes à faire défection.

«Au Parti conservateur, il y a de l'ouverture pour tous les nationalistes qui se cherchent actuellement, qui savent que la souveraineté n'arrivera pas demain matin, probablement pas avant des années et peut-être jamais, a lancé M. Gauthier. Pour ceux qui voient l'état du Bloc québécois, qui est en train de disparaître... Ces gens-là, je leur dis que le Parti conservateur est ouvert, les attend.»

Les conservateurs ont vilipendé Trudeau sur la question de la gestion de l'offre. Ils l'accusent de tenir un double discours : rassurant auprès des agriculteurs, conciliant auprès des Américains, qui veulent des concessions d'Ottawa sur cette question.

«La semaine dernière, Trudeau a promis qu'il protégerait la gestion de l'offre. Il a refusé de dire le mot "intégral". Tant qu'il ne dira pas le mot "intégral", je ne m'y fierai pas», a clamé le producteur laitier Pierre Girard, qui soutient Martel et avait prêté son hangar aux conservateurs pour recevoir les médias.

Coup de massue pour le Bloc

Quelques heures plus tard, au Grand défi Pierre Lavoie, sur le quai des croisières à La Baie, le chef bloquiste intérimaire se tenait sous la pluie avec sa candidate. Catherine Bouchard-Tremblay ne récolte que 8,7% des intentions de vote. Pour le Bloc, qui a détenu la circonscription de 2004 à 2011, c'est un coup de massue.

«Le Bloc défend systématiquement les intérêts nationaux du Québec. Quand on regarde la position des conservateurs, ce n'est pas du tout le cas, a expliqué Mario Beaulieu. On l'a vu dans le cadre de la gestion de l'offre quand Harper était là. Ils ont reculé sur la gestion de l'offre.»

Beaulieu et sa candidate étaient seuls, sans militants avec eux, contrairement à Justin Trudeau et Andrew Scheer. Les deux partageaient un même parapluie.

«Déjà, avec tout ce qui s'est passé, qu'on soit en avant du NPD, c'est déjà bon», a relativisé le chef du Bloc québécois.

La dégringolade est en effet fulgurante pour le parti de Jagmeet Singh, qui a détenu la circonscription de 2011 à 2015. Le dernier sondage lui accorde un maigre 6,2% pour l'élection partielle. Singh était aussi à Saguenay jeudi, mais n'était pas au départ du Grand défi comme les trois autres chefs.

Rejet de la rectitude politique

Le Parti conservateur qui caracole, les libéraux qui vacillent, le Bloc et le NPD qui s'écrasent... Le politologue Michel Roche, professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi, pense que l'élection dans Chicoutimi-Le Fjord dégage des tendances qui dépassent la région.

«Il y a un rejet grandissant de la rectitude politique qui est incarnée par le Parti libéral et Justin Trudeau, mais aussi par le NPD et son chef», explique M. Roche.

«Richard Martel s'en sert. Tous les jours, je vois sur ma page Facebook une publicité de lui qui montre la famille Trudeau avec des costumes comme lors du voyage en Inde. Il se sert de ça», explique le politologue.

«J'entendais à la télé des travailleurs de Rio Tinto Alcan qui disaient qu'ils vont voter pour Martel parce qu'il est fort en gueule, raconte le professeur. Et ils sentent qu'il va mieux les défendre aux États-Unis que l'autre avec ses costumes!»

L'autre, justement, était aussi sur place. Justin Trudeau a offert un discours enthousiaste, mais échevelé au départ du Grand défi Pierre Lavoie. «Je suis très content d'être ici à Sag... Saguenay... La Malbaie avec Lina Boivin... non? Oui», a commencé le premier ministre, semblant oublier le nom de sa propre candidate.

«Y a déjà commencé à fumer!», a lancé un homme dans la foule.

Puis, une fois les cyclistes partis, il s'est adonné à un bain de foule. Les gens se sont rués sur lui pour lui serrer la main, prendre une photo avec lui.

Andrew Scheer et Richard Martel ont alors décidé d'aller eux aussi dans la foule, d'aller dans le coin, dirait-on en langage de patinoire.

Mais malgré les sondages et toutes les analyses politiques du monde, Justin Trudeau est resté l'attraction principale, l'aimant irrésistible. L'effet Trudeau peut-il encore fonctionner jusque dans l'urne? Lundi devrait apporter une partie de la réponse.

PC

Le candidat conservateur Richard Martel casse la croûte avec son chef Andrew Scheer.