L'ambiance s'annonce tendue et le ton, acrimonieux. Mais à quelques minutes de prendre la route pour La Malbaie, où six des sept pays du G7 feront front commun contre Donald Trump, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland s'est dite « convaincue » hier que le « gros bon sens » finirait par triompher dans l'épineux dossier des tarifs.

En entrevue avec La Presse dans un hôtel de Québec, Mme Freeland a affirmé être « absolument optimiste » par rapport aux avancées qui pourraient être réalisées sur diverses questions aujourd'hui et demain derrière des portes closes, dans le paysage bucolique de Charlevoix.

« Évidemment, il y a des enjeux, et un enjeu en particulier [les tarifs], au sujet desquels il y a une grande différence entre la position du Canada, et de tous nos alliés, et celle des États-Unis », a-t-elle fait valoir.

« Je suis très contente que nos leaders aient une occasion de parler directement de cet enjeu. Je pense que c'est très, très bon d'avoir cette opportunité exactement à ce moment-ci. » - Chrystia Freeland, ministre canadienne des Affaires étrangères

SURTAXES « ILLÉGALES »

Le Sommet de Charlevoix, en effet, n'aurait pu survenir à un moment plus critique pour l'unité du G7. Washington a imposé la semaine dernière des surtaxes de 10 % et 25 % sur les importations d'aluminium et d'acier de ses alliés, un geste qui a déclenché une levée de boucliers unanime contre l'administration Trump.

La rencontre est de plus en plus considérée comme un « G6 + 1 », un état de discorde que Donald Trump a confirmé hier en publiant sur Twitter au moins deux messages hargneux destinés entre autres à Justin Trudeau et au président français Emmanuel Macron.

Avec calme et dans un grand sourire, Chrystia Freeland a réitéré à La Presse que le gouvernement canadien considérait comme « illégales » les surtaxes « unilatérales » imposées par Washington sur les métaux.

Ottawa a d'ailleurs répliqué en imposant des tarifs douaniers totalisant 16,6 milliards sur une série d'importations américaines, en plus de déposer une plainte formelle à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le Canada tentera aussi de faire valoir ses droits par l'entremise du mécanisme de règlement des différends de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

ÉCHEC CANADIEN ?

Chrystia Freeland et plusieurs autres ministres du gouvernement Trudeau s'évertuent en parallèle depuis plusieurs mois à marteler sur toutes les tribunes les avantages de l'ALENA, et les méfaits du protectionnisme. La ministre ne rate pas non plus une occasion de rectifier poliment les affirmations de Donald Trump, qui se dit victime d'un grave déficit commercial avec le Canada - ce qui est faux.

La balance commerciale penche en faveur des États-Unis dans plusieurs secteurs, rappelle Mme Freeland, notamment dans l'acier.

« C'est important d'avoir une réponse ferme et forte, et aussi légale et proportionnelle, mais en même temps, c'est aussi important de continuer d'avoir une conversation [avec les Américains], a-t-elle souligné. Pour moi, en tant que ministre responsable du Canada, je vais toujours utiliser les faits économiques. »

341,7 milliards US: Exportations de biens et services américains au Canada

338,9 milliards US: Importations de biens et services canadiens aux États-Unis

2,8 milliards US: Surplus commercial des États-Unis envers le Canada

Source : U.S. Bureau of Economics Analysis, données pour 2017



Il reste que la stratégie canadienne axée sur la répétition de « faits » et de statistiques ne semble pas avoir porté ses fruits auprès de Donald Trump. Le président est reconnu pour souvent colporter des informations erronées - comme lorsqu'il a accusé les Canadiens d'avoir incendié la Maison-Blanche en 1814 - ou encore se fier purement à son instinct.

Chrystia Freeland refuse malgré tout de voir les efforts canadiens comme un échec.

« Nous sommes un pays qui croit dans les faits, a-t-elle insisté. Nous sommes un pays qui croit dans ses valeurs. Nous sommes un pays qui comprend l'importance des règles internationales. Et comme le premier ministre l'a dit, nous sommes convaincus qu'à la fin, le gros bon sens va l'emporter. Absolument. »

La ministre Freeland se dit en outre convaincue que « la réalité économique va triompher », ne serait-ce qu'en raison de l'importance du Canada pour les exportateurs américains.

« La réalité économique, c'est que les liens économiques entre les États-Unis et le Canada sont réciproques, avance-t-elle. Nous avons un équilibre et un bénéfice mutuel. Et nous le répétons beaucoup parce que c'est important de le répéter : le Canada est le plus grand marché pour les États-Unis. Plus grand que la Chine, le Japon et la Grande-Bretagne mis ensemble. »

SONDAGE FAVORABLE

Malgré l'irritation non dissimulée de Donald Trump, les Canadiens semblent appuyer très largement les mesures de représailles tarifaires lancées contre les États-Unis par le Canada.

Selon un sondage Abacus Data publié hier, les citoyens de toutes les allégeances politiques « appuient » ou « appuient fortement » ces mesures : 84 % pour les électeurs libéraux, 79 % pour les néo-démocrates et 65 % pour les conservateurs.

Chrystia Freeland ne se dit pas du tout surprise par ces résultats. Elle affirme avoir été inondée de courriels de citoyens depuis l'annonce des mesures de représailles faite avec Justin Trudeau la semaine dernière. Les deux politiciens ont aussi répété leur message sur plusieurs importantes tribunes aux États-Unis, notamment lors d'un passage remarqué de Freeland à CNN.

POSÉE ET PUGNACE

La ministre y est apparue à la fois posée et pugnace, mais pas vindicative. Une attitude respectueuse que Chrystia Freeland tente de maintenir dans toutes ses interventions, en dépit des énormités parfois proférées par ses homologues américains dans le dossier du commerce.

« Je pense que nous devons toujours être cordiaux, parler avec du respect pour nos homologues, utiliser des faits, et en même temps, c'est très important de toujours défendre les valeurs canadiennes et de toujours être très clairs et très fermes dans leur défense », avance-t-elle.

L'élue de Toronto-Centre se dit très consciente « de la responsabilité et du privilège » que lui a confiés Justin Trudeau en la nommant aux Affaires étrangères en remplacement de Stéphane Dion en janvier 2017, quand les menaces sur l'ALENA se sont amplifiées.

« C'est un plaisir et c'est aussi un fardeau, parce que je suis très consciente que c'est un moment important dans l'histoire de notre pays. » - Chrystia Freeland

Au sujet de l'ALENA, la ministre confirme n'avoir jamais reçu de demande formelle des États-Unis pour négocier un nouvel accord à deux, sans le Mexique. Le Canada tient mordicus à poursuivre des pourparlers trilatéraux, ajoute-t-elle.

AUTRES DOSSIERS AU G7

Si la question des tarifs et du protectionnisme a dominé les échanges en prévision du G7, Chrystia Freeland croit que cet enjeu « ne va pas monopoliser » la rencontre des leaders de l'Allemagne, de la France, du Royaume-Uni, de l'Italie, du Canada, des États-Unis et du Japon à La Malbaie.

La Corée du Nord constituera un enjeu « très important », d'autant plus que Donald Trump doit rencontrer le leader nord-coréen Kim Jong-un quelques jours après le Sommet. Les dossiers de la Russie et de l'Ukraine, de même que la crise au Venezuela, occuperont aussi une place importante dans les pourparlers, dit Mme Freeland.

Le Canada mettra également de l'avant son programme concernant « l'économie du XXIe siècle », qui vise notamment une plus grande égalité des sexes et une amélioration des conditions pour la classe moyenne.