Une conversation téléphonique entre Donald Trump et Justin Trudeau a pris une tournure surréaliste, à deux semaines du G7, quand le président des États-Unis a faussement accusé les Canadiens d'avoir incendié la Maison-Blanche pendant la guerre de 1812 afin de justifier l'imposition de nouveaux tarifs douaniers, deux siècles plus tard.

Selon CNN, qui cite des sources au fait de la discussion, Donald Trump a ressorti ce vieux conflit pour expliquer ses craintes actuelles sur la « sécurité nationale » des États-Unis. Ces inquiétudes envers le Canada constituent la raison officielle derrière les surtaxes de 10 % à 25 % imposées sur les importations d'acier et d'aluminium à la fin de mai.

Justin Trudeau a répété sur plusieurs tribunes qu'il jugeait l'argument de la sécurité nationale « inacceptable » et « insultant » pour le Canada. C'est lorsqu'il a pressé Donald Trump de lui fournir davantage d'explications que le président aurait sorti l'exemple de la guerre de 1812.

« N'est-ce pas vous qui avez brûlé la Maison-Blanche ? », a alors lancé M. Trump, selon les sources de CNN.

PROBLÈME HISTORIQUE

Le problème est que ce sont les troupes britanniques qui ont mis le feu à la Maison-Blanche et à plusieurs immeubles publics de Washington en 1814, alors que le Canada était encore une colonie de la Grande-Bretagne. Le Canada est officiellement devenu un pays indépendant un demi-siècle plus tard, en 1867.

Le Canada et les États-Unis sont devenus « des alliés permanents » en 1940, rappelle le professeur d'histoire de l'Université d'Ottawa Damien-Claude Bélanger.

« Des histoires comme celle-là, c'est loufoque et, historiquement parlant, faux. » - Damien-Claude Bélanger, professeur d'histoire à l'Université d'Ottawa

« Ce n'est pas le Canada qui était en guerre contre les États-Unis en 1812 et ce n'est certainement pas le Canada qui a lancé un raid contre la ville de Washington », dit-il, rappelant que les milices canadiennes de l'époque auraient à peine pu « défendre le Haut et le Bas-Canada ».

Les soldats britanniques ont allumé le brasier à la Maison-Blanche en représailles à une attaque américaine sur York (aujourd'hui Toronto, en Ontario), un territoire devenu par la suite canadien. L'origine de ce conflit entre les États-Unis et la Grande-Bretagne découle d'ailleurs des tentatives d'invasion des Américains au nord de la frontière.

Selon plusieurs historiens, la guerre de 1812 (conclue en 1814) a contribué à la naissance du « nationalisme » dans l'ancienne colonie britannique. « Le Canada doit ses contours actuels aux négociations de paix, alors que la guerre - ou les mythes nés de la guerre - a donné aux Canadiens le sentiment d'appartenir à une communauté et a jeté les bases de la future nation », souligne un article de l'Encyclopédie canadienne.

Cette interprétation du conflit pourrait expliquer le « raccourci » pris par Donald Trump pendant sa conversation avec Justin Trudeau, selon l'historien Laurent Turcot, professeur au département des sciences humaines de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

M. Bélanger explique aussi que des Canadiens croient encore à tort que le Canada « a gagné la guerre de 1812 ». « Dans ce cas-là, ce n'est pas surprenant que des Américains en prennent note », dit-il. 

Donald Trump a-t-il voulu blaguer en accusant le Canada de cet incendie vieux de deux siècles ? Une source citée mercredi par CNN a dit en douter. Cette source a rappelé que les nouveaux tarifs douaniers auraient un impact réel tant au Canada qu'aux États-Unis et ne devraient pas constituer un « sujet de plaisanterie ».

Ottawa a répliqué aux nouvelles surtaxes américaines en annonçant des tarifs douaniers s'élevant à 16,6 milliards de dollars sur certaines importations américaines, dont l'acier et l'aluminium. Le Canada a aussi porté plainte auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) dans ce dossier.

La Maison-Blanche et le National Security Council n'ont pas commenté les révélations de CNN, mercredi. Le bureau du premier ministre Trudeau n'a pas non plus souhaité commenter cette « discussion privée » entre les deux dirigeants, a-t-on indiqué à La Presse.

LONGUE SÉRIE D'AFFIRMATIONS

Ces propos attribués à Donald Trump s'ajoutent à une série de plus en plus longue d'affirmations erronées, formulées pour justifier l'imposition de tarifs ou encore la renégociation de l'ALENA.

M. Trump a par exemple souvent déploré un déficit commercial important avec le Canada, alors que des statistiques officielles américaines montrent plutôt que les États-Unis affichent un léger surplus.

Le président s'est aussi vanté d'avoir menti à Justin Trudeau sur la balance commerciale canado-américaine, pendant un discours devant des partisans au Missouri en mars dernier.

DES CONVERSATIONS « FRANCHES ET PARFOIS DIFFICILES »

Le climat s'annonce tendu au Sommet du G7 de La Malbaie, qui se déroulera demain et samedi. En point de presse à Ottawa mercredi, Justin Trudeau a dit s'attendre à de vives discussions dans Charlevoix.

« Il va y avoir des conversations franches et parfois difficiles autour de la table du G7, particulièrement avec le président américain sur le commerce, sur les tarifs », a-t-il indiqué. « En même temps, c'est fait pour ça, les rencontres du G7 : pour avoir des conversations directes entre alliés, pour parler des préoccupations que nous avons et aussi pour chercher toujours un terrain d'entente sur les grands enjeux », a-t-il ajouté.

À Washington, le principal conseiller économique de Donald Trump, Larry Kudlow, a confirmé mercredi que le président des États-Unis s'entretiendrait en tête-à-tête avec Justin Trudeau à La Malbaie.

- Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse