Le gouvernement Trudeau sortira-t-il son chéquier pour permettre au projet d'oléoduc Trans Mountain d'aller de l'avant? À 72 heures de la date butoir fixée par Kinder Morgan pour obtenir des garanties solides d'Ottawa, on a appris hier que l'entreprise n'aurait payé presque aucun impôt depuis trois ans au Canada, malgré des revenus de plusieurs centaines de millions.

Kinder Morgan a déclenché une véritable crise nationale il y a six semaines en annonçant l'interruption de tous les travaux d'expansion de son oléoduc Trans Mountain, qui relie les sables bitumineux albertains au port de Vancouver. Même si elle a déjà reçu toutes les approbations réglementaires nécessaires, la société s'inquiète des menaces du nouveau gouvernement de la Colombie-Britannique, qui souhaite faire dérailler le projet en raison de craintes environnementales.

Kinder Morgan a fixé une date butoir - le 31 mai - pour obtenir des assurances claires d'Ottawa que son projet de 7,4 milliards pourra bel et bien aller de l'avant. Le gouvernement de Justin Trudeau compte tout faire pour assurer la reprise des travaux, ce qui pourrait inclure une prise de participation dans l'oléoduc ou le versement d'une indemnisation à Kinder Morgan.

Échappatoires fiscales?

La possibilité de voir Ottawa investir directement dans ce projet a fait bondir le Nouveau Parti démocratique (NPD). S'appuyant sur des documents officiels de Kinder Morgan Canada Limited, les députés Guy Caron et Ruth-Ellen Brosseau ont révélé hier à la Chambre des communes que l'entreprise n'aurait payé aucun impôt au pays l'an dernier, alors que ses revenus nets se sont élevés à 160 millions de dollars.

«Ce qui s'est passé, c'est que la compagnie, en utilisant toutes les échappatoires, n'a pas payé un cent d'impôt, zéro! a lancé M. Caron. Sachant cela, est-ce que le premier ministre peut nous expliquer pourquoi il serait dans l'intérêt national de donner un chèque en blanc de 500 millions de dollars, de 1 milliard de dollars ou de 5 milliards de dollars à une compagnie comme Kinder Morgan qui trouve le moyen et surtout l'intérêt de ne pas payer sa juste part d'impôt?»

1,1 million en trois ans

Selon d'autres documents destinés aux investisseurs, la société n'a vraisemblablement payé que 1,1 million en impôt depuis trois ans au pays, malgré un revenu net de 360 millions tiré de ses activités existantes pendant cette période. «C'est plus de 180 millions en évitement fiscal», a affirmé Ruth-Ellen Brosseau.

Le NPD estime que l'entreprise a structuré ses activités canadiennes de façon à faciliter le transfert des profits vers le Texas, où se trouve sa société mère. Kinder Morgan Canada n'a pas répondu aux demandes de précisions de La Presse à ce sujet, hier.

Le cabinet du ministre des Finances Bill Morneau a transmis nos questions à l'Agence du revenu du Canada, qui a refusé de commenter «en raison des dispositions relatives à la confidentialité de l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu».

Trudeau se défend

Le premier ministre Justin Trudeau a continué à défendre bec et ongles l'importance du projet Trans Mountain après les attaques du NPD à la Chambre des communes.

«Ce que le NPD ne comprend pas, c'est que ce n'est plus le temps de faire un choix entre l'environnement et l'économie. Nous devons créer des emplois, tout en protégeant l'environnement. Le fait que, chaque année, on perd 15 milliards de dollars parce que nous n'avons pas un deuxième marché pour nos ressources pétrolières vient coûter à tous les Canadiens. Nous avons examiné et approuvé ce projet de Trans Mountain sous un processus amélioré et renforcé. C'est dans l'intérêt national. C'est pour ça que cet oléoduc sera construit.»

Le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, a par la suite admis ne pas être au courant des «détails» fiscaux et des «chiffres» mis en lumière par le NPD.

Morneau à Calgary

Le ministre des Finances Bill Morneau prononcera demain un discours devant la Chambre de commerce de Calgary, à la veille de la date butoir fixée par Kinder Morgan. Certaines sources s'attendent à ce qu'il y annonce une forme d'aide pour assurer la survie du projet. À son cabinet, on a simplement indiqué hier que les discussions étaient toujours «en cours» et qu'elles «avançaient».

La Chambre de commerce du Canada, qui a organisé la semaine dernière une journée nationale de soutien à l'oléoduc Trans Mountain, insiste quant à elle sur l'importance «absolument cruciale» de l'échéancier du 31 mai. L'opposition au projet reste forte, comme en témoigne la manifestation qui a réuni environ 1000 personnes dimanche à Montréal.

May plaide coupable

Alors même que la tension continuait d'augmenter hier à Ottawa, la chef du Parti vert, Elizabeth May, a plaidé coupable à une accusation d'outrage au tribunal. Elle reconnaît avoir enfreint une injonction qui limitait les manifestations sur les sites de Kinder Morgan à Burnaby, près de Vancouver, et devra payer une amende de 1500 $.

Quelques heures plus tôt, on apprenait qu'une fuite d'environ 100 litres de pétrole brut s'était produite à une station de pompage de Kinder Morgan en Colombie-Britannique. Elle a vite été colmatée.

Selon les plans actuels, l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain sur environ 1150 kilomètres fera passer de 300 000 à 890 000 barils par jour la capacité du réseau de Kinder Morgan, ce qui permettra d'exporter davantage de pétrole albertain vers les marchés internationaux.