Les allégations d'inconduite sexuelle d'un ex-militaire contre Christine Moore sont un «tissu de mensonges» et visent à attaquer sa crédibilité, soutient la députée qui compte poursuivre cet homme en diffamation ainsi que trois chroniqueurs qui les ont rapportées.

«De vouloir faire ça parce que j'ai osé dénoncer des gens qui avaient des comportements inappropriés, je trouve que c'est horrible», a-t-elle réagi en faisant référence à son rôle dans les enquêtes lancées sur son collègue Erin Weir récemment de même que les députés libéraux Massimo Pacetti et Scott Andrews, en 2014, qui ont mené éventuellement à l'exclusion des trois élus de leurs caucus respectifs.

«On a exposé ma vie privée. On a exposé ma vie sexuelle au grand jour. Ça a été difficile pour moi. Ça a été difficile pour ma famille, (...) pour tout le monde autour de moi.»

Dans une entrevue exclusive à La Presse canadienne, l'élue néo-démocrate de 34 ans de l'Abitibi-Témiscamingue, visiblement ébranlée, affirme plutôt - photos à l'appui - avoir eu une relation amoureuse avec Glen Kirkland qui a duré environ quatre mois, soit de juin à octobre 2013. L'avocat de la députée était présent lors de l'entrevue, mais il n'est pas intervenu.

«Je l'ai aimé, a-t-elle confié en précisant que M. Kirkland était très romantique. J'étais sûre qu'il était amoureux de moi et maintenant, je me rends compte que probablement c'était une "game" depuis le début.»

L'une de ses amies proches a confirmé que Mme Moore et M. Kirkland s'étaient fréquentés.

Joint par téléphone, l'ex-militaire, également âgé de 34 ans, maintient toutefois sa version des faits et nie avoir eu une relation de couple avec l'élue.

«Mon Dieu, non!, s'est-il exclamé. Une relation amoureuse signifie que les deux parties doivent être impliquées.»

M. Kirkland, aujourd'hui agent immobilier, s'est présenté à l'investiture libérale fédérale dans la circonscription de Brandon-Souris, au Manitoba, en 2014 avant de se retirer, selon le Brandon Sun, un média local.

Il allègue que Mme Moore aurait eu un comportement inapproprié à son endroit alors qu'il était vulnérable et qu'elle était en position d'autorité à cause de son rôle de députée. Il souligne qu'il n'a pas déposé de plainte, qu'il a simplement répondu aux questions d'un journaliste qui a exposé cette histoire et précise qu'il «ne crie pas au viol».

L'histoire remonte au 5 juin 2013, le jour où M. Kirkland a livré un témoignage émotif en comité parlementaire sur le traitement réservé aux militaires blessés en Afghanistan. Il avait lui-même subi d'importantes blessures dans une embuscade tendue par les talibans en 2008.

Il affirme que la députée québécoise l'aurait invité à son bureau après son témoignage et incité à boire du gin même s'il lui avait signifié son inconfort parce qu'il prenait des médicaments. Elle l'aurait ensuite suivi jusque dans sa chambre d'hôtel où elle a passé la nuit.

Une version des faits qui ne coïncide pas tout à fait avec la réalité, selon Christine Moore.

«C'est absolument ridicule, il fallait que j'aille voter, a-t-elle démenti. J'ai passé trois heures à voter cette soirée-là, c'est sur vidéo. Je ne peux pas l'avoir suivi à sa chambre d'hôtel.»

Selon le journal des débats à la Chambre des communes, Mme Moore était en chambre à 22 h 40, ce soir-là, pour une série de votes qui se sont terminés environ une heure plus tard. La séance a été levée peu après minuit.

Elle se serait ensuite rendue à l'hôtel où logeait M. Kirkland après avoir reçu une invitation par texto et confirme avoir eu une relation sexuelle «consensuelle» avec lui. La Presse canadienne n'a pas pu voir le message parce que la députée n'y a plus accès.

Elle admet avoir invité un groupe d'anciens combattants, dont Glen Kirkland faisait partie, à prendre un verre dans son bureau lorsqu'elle les a croisés à l'extérieur du parlement après la réunion du comité en fin d'après-midi. Elle lui avait auparavant remis sa carte d'affaires en lui offrant son aide.

«Je sais que je n'avais pas de gin, car je ne bois pas de gin, a-t-elle déclaré en ajoutant qu'elle avait probablement sorti de la vodka et du vin pour que les gens puissent se servir. La porte de mon bureau était ouverte et mes employés étaient présents.»

Elle soutient qu'elle n'a pas discuté de la médication de M. Kirkland avec lui et signale qu'il avait affirmé sous serment lors de son témoignage en comité «qu'il prenait uniquement de l'insuline» en raison de ses blessures. Mme Moore souligne que l'ex-militaire avait exceptionnellement demandé à prêter serment, chose plutôt rare en comité parlementaire.

Selon le verbatim disponible sur le site de la Chambre des communes, M. Kirkland avait aussi affirmé en comité qu'il prenait un autre médicament contre l'arthrite.

Mme Moore affirme que le groupe a quitté son bureau en début de soirée parce qu'elle devait se rendre à un événement.

Elle a par la suite rejoint M. Kirkland à son invitation, dit-elle, sur la terrasse d'un bar du centre-ville d'Ottawa où il était attablé avec d'autres personnes. L'adjointe de Mme Moore était présente et a pris une photo. Une autre photo prise au même endroit et publiée sur le compte Facebook de M. Kirkland le 5 juin 2013 le montre en compagnie de Matthew Luloff, un employé parlementaire. Celui-ci n'a pas répondu aux messages de La Presse canadienne. Des verres de bière vides sont sur la table.

Questionné sur ce détail, M. Kirkland présume qu'il avait bu de la bière non alcoolisée ce soir-là puisqu'il maintient qu'il évitait de consommer de l'alcool.

Deux des employées de Mme Moore, dont son adjointe de l'époque, ont confirmé à La Presse canadienne avoir vu le groupe dans son bureau ce jour-là et, par la suite, d'avoir vu M. Kirkland en compagnie de la députée sur la terrasse.

Plus tard, Mme Moore affirme être retournée à son bureau pour se préparer pour les votes qui avaient lieu en fin de soirée à la Chambre des communes. M. Kirkland l'aurait alors accompagnée. «C'est lui qui m'a embrassée, a-t-elle raconté. J'ai répondu à ses baisers, mais c'est lui qui a fait le premier pas.»

Christine Moore affirme qu'après leur nuit ensemble, ils sont demeurés en contact et qu'ils se sont vus à deux reprises. M. Kirkland lui avait d'abord envoyé le 21 juin 2013 par courriel l'itinéraire d'un billet d'avion pour aller la voir dans sa circonscription en Abitibi-Témiscamingue, mais a par la suite annulé le voyage à cause de son ex-femme. La Presse canadienne a pu consulter ce courriel.

Ils se sont revus en juillet à Kenosee Lake, un village touristique en Saskatchewan. «C'était vraiment un voyage d'amoureux, a-t-elle indiqué en présentant quelques photos. Il n'y avait aucun de ses amis qui était là.»

M. Kirkland prétend plutôt que Mme Moore s'est rendue en Saskatchewan où il jouait au golf avec des amis sans y être invitée. Il affirme qu'elle se serait aussi rendue chez lui à Brandon au Manitoba quelques semaines plus tard pour lui rendre visite contre son gré.

Selon la version de Mme Moore, elle lui aurait proposé d'aller le voir en août, ce qu'il aurait accepté. «Je lui ai envoyé mon itinéraire de vol par courriel deux jours avant mon arrivée, a-t-elle souligné. Il est venu me chercher à Winnipeg.»

L'élue soutient avoir mis fin à la relation en octobre 2013 à cause de la distance géographique qui les séparait et parce que M. Kirkland était aux prises avec un divorce difficile. «Je pense qu'il comprenait que ça n'avait pas d'allure comme situation», a-t-elle dit en décrivant la réaction de l'ex-militaire à l'époque.

En entrevue, M. Kirkland a confirmé certains détails, mais a refusé de passer en revue l'ensemble de la version de Mme Moore. «Je maintiens ce que j'ai dit précédemment et je suis prêt à passer un détecteur de mensonges, a-t-il dit avant de raccrocher. Je doute qu'elle soit prête à en faire autant.»

La députée québécoise a été suspendue de ses fonctions parlementaires mardi par le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, le temps qu'une enquête soit menée. Elle espère que les conclusions de cette enquête seront rendues publiques.

Les allégations de M. Kirkland ont d'abord été rapportées dans un article d'opinion publié le jour même sur le site web de CBC et ont été reprises par un grand nombre de médias. Elle a demandé à son avocat de préparer une poursuite en diffamation contre M. Kirkland et trois chroniqueurs de médias anglophones.

«Je vais entreprendre les recours appropriés sans gaieté de coeur, mais plutôt parce qu'on ne m'a laissé aucun choix», a-t-elle déclaré.

«Avant de faire des déclarations publiques, avant de publier des reportages, il doit y avoir des vérifications de base qui doivent être faites, à savoir s'il y a des incohérences, a-t-elle ajouté. S'il n'y a pas d'incohérences, je crois que c'est pertinent de croire les victimes.»