Le Canada et la communauté internationale ne devraient pas craindre d'utiliser le mot génocide s'ils veulent pouvoir l'éviter lorsqu'il est question de la crise humanitaire qui touche les Rohingyas, selon l'envoyé spécial du Canada au Myanmar, Bob Rae.

«Mon job et le job, je crois, de beaucoup de monde est de prévenir un génocide possible et nous devons reconnaître qu'il y a des signes très, très troublants qui existent à présent et qu'on a perdu beaucoup de personnes, a-t-il expliqué en conférence de presse. On a perdu des dizaines de milliers de personnes qui sont mortes et qui sont disparues.»

Il dévoilait mardi son rapport, attendu depuis janvier, sur cette crise qui secoue la région de Rakhine dans ce pays et qui a des répercussions au Bangladesh. Il formule en tout 17 recommandations pour tenter de dénouer la crise.

Le Canada devrait, selon lui, «jouer un rôle de premier plan» et allonger 600 millions de dollars au cours des quatre prochaines années pour répondre à la crise. De l'argent pour soutenir, entre autres, l'aide humanitaire offerte par les Nations unies et d'autres organisations internationales, la coordination des efforts internationaux de même qu'une enquête qui pourrait éventuellement permettre de traduire les responsables en justice devant la Cour pénale internationale.

Le Canada devrait également indiquer qu'il est prêt à accueillir des réfugiés Rohingyas, estime M. Rae sans préciser combien, et inciter d'autres pays à lui emboîter le pas.

Plus de 671 000 Rohingyas, une minorité musulmane persécutée, ont fui leur pays depuis une flambée de violence en août 2017. Ils ont trouvé refuge dans la région de Cox's Bazar au Bangladesh et vivent dans des abris de fortune qui font craindre le pire à quelques mois de la saison des pluies.

«La crise humanitaire au Bangladesh, avec la pluie qui va venir (...) il faut avoir une réponse immédiate à la situation», a plaidé M. Rae.

Amnistie internationale presse le gouvernement Trudeau d'adopter l'ensemble des recommandations formulées par son envoyé spécial.

«Le Canada s'engage à contribuer à résoudre cette crise. Au cours des prochaines semaines, nous étudierons les recommandations contenues dans le rapport, et nous présenterons d'autres mesures que nous avons l'intention de prendre», a déclaré, par voie de communiqué, le premier ministre Justin Trudeau.

La ministre des Affaires étrangères, Chystia Freeland, et sa collègue au Développement international, Marie-Claude Bibeau, se sont dites «consternées» par la persécution de centaines de milliers de Rohingyas qu'elles qualifient de crime contre l'humanité, dans un communiqué.

Elles ont rappelé qu'Ottawa a déjà annoncé en mars une enveloppe de 8 millions $ en aide humanitaire pour aider les organismes sur le terrain à mettre en place des mesures de mitigation en prévision de la mousson. Ce montant porte à près de 46 millions $ l'enveloppe canadienne depuis 2017.

Responsabilité d'Aung San Suu Kyi?

Dans son rapport, Bob Rae ne fait aucune recommandation concernant la leader birmane Aung San Suu Kyi. Or, la dirigeante «de facto» du pays, ancienne prisonnière politique de la junte militaire, a été largement critiquée pour son inaction dans le dossier des Rohingyas.

Au Canada, une pétition a été lancée pour demander au gouvernement de la dépouiller de son titre de citoyenne canadienne honoraire.

À la conférence de presse mardi, M. Rae a plutôt insisté sur le pouvoir des militaires au Myanmar.

«On voit clairement qu'elle n'est pas quelqu'un qui gère la machine du gouvernement ou la machine militaire», a-t-il dit à propos d'Aung San Suu Kyi.

«L'autre chose qui est difficile à dire, mais qu'il faut dire, c'est que la position politique de la population rohingya dans l'opinion publique de la Birmanie, n'est pas bonne. Et ça, c'est une réalité politique à laquelle il est difficile de faire face», a-t-il aussi noté.