Les sondages se suivent et se ressemblent. Si la tendance se maintient, le Parti progressiste-conservateur de l'Ontario dirigé par Doug Ford remportera une écrasante majorité des sièges aux élections provinciales prévues le 7 juin et formera le prochain gouvernement à Queen's Park, mettant ainsi fin à un règne de 15 ans de pouvoir des libéraux provinciaux.

La victoire attendue de Doug Ford, qui est reconnu pour son franc-parler et ses positions bien tranchées et qui est le frère de l'ancien maire controversé de Toronto, Rob Ford, alimente déjà les craintes dans les sphères du gouvernement à Ottawa et, dans une moindre mesure, dans certaines capitales provinciales.

Car personne ne doute que le changement de garde qui se prépare en Ontario aura des répercussions qui dépasseront les frontières de la province la plus populeuse du pays.

D'abord, Justin Trudeau risque de perdre en Kathleen Wynne, l'actuelle première ministre de l'Ontario, son allié le plus fidèle sur la scène provinciale. Il existe depuis 2015 une véritable symbiose entre le gouvernement que dirige Justin Trudeau et celui de Mme Wynne sur une kyrielle de dossiers, de la lutte contre les changements climatiques aux investissements dans les programmes sociaux, en passant par la priorité accordée aux réseaux de transports collectifs et la volonté de financer les dépenses par des déficits. D'ailleurs, de nombreux libéraux provinciaux ayant fait leurs dents à Queen's Park occupent aujourd'hui des rôles de premier plan au sein du gouvernement Trudeau - Gerry Butts (proche conseiller du premier ministre) et Katie Telford (chef de cabinet de M. Trudeau) étant des exemples notoires.

Les relations sont si étroites entre les deux capitales dominées par les libéraux que Justin Trudeau a même fait campagne aux côtés de Kathleen Wynne en février 2016 lors d'une élection partielle provinciale dans Whitby-Oshawa afin de donner un coup de pouce à la candidate libérale Elizabeth Roy, qui a finalement mordu la poussière devant le candidat conservateur Lorne Coe. Une très rare incursion d'un premier ministre du pays dans une élection partielle pour un siège à l'Assemblée législative d'une province.

L'élection d'un gouvernement conservateur en Ontario risque donc de modifier considérablement la dynamique des relations fédérales-provinciales. D'autant que l'un des premiers gestes de Doug Ford, une fois devenu premier ministre, pourrait être de retirer l'Ontario de la bourse du carbone. L'Ontario s'est joint à cette bourse, à laquelle participent le Québec et la Californie, au début de l'année seulement.

Le chef conservateur soutient que la bourse du carbone est un véritable boulet pour les entreprises ontariennes parce que l'Ontario ne réussira à atteindre ses objectifs en matière de réduction de gaz à effet de serre que si ces dernières achètent des crédits de pollution de sociétés du Québec ou de la Californie. «Je ne vais pas donner 469 millions de dollars à la Californie et au Québec», a-t-il déclaré récemment dans une entrevue à la radio de CBC. M. Ford s'oppose aussi farouchement à toute forme de prix sur le carbone.

Résultat : les intentions du chef conservateur pourraient faire dérailler le plan du gouvernement Trudeau sur les changements climatiques.

À Paris, en décembre 2015, le Canada s'était engagé à réduire de 30 % ses émissions de GES d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Pour y arriver, le premier ministre a annoncé en octobre 2016 son plan - le «Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques» -, en vertu duquel Ottawa imposera une taxe carbone de 10 $ la tonne dans les provinces qui n'auront pas adopté une forme de tarification du carbone à compter de janvier prochain. Cette taxe sera majorée de 10 $ la tonne par année par la suite pour atteindre le prix plancher de 50 $ à compter de 2022.

L'Ontario n'était pas visé par cette taxe parce qu'il participe à la bourse du carbone. Jusqu'ici, seule la Saskatchewan a refusé d'adhérer au plan fédéral, brandissant même la menace de le contester devant les tribunaux une fois en vigueur.

Or, le retrait éventuel de l'Ontario pourrait être le début d'un bras de fer entre Ottawa et les provinces, et cette brèche ouverte par Doug Ford pourrait gagner d'autres provinces.

Certes, l'Alberta que dirige le gouvernement néo-démocrate de Rachel Notley a accepté d'imposer sa propre taxe sur le carbone. Mais le Parti conservateur de Jason Kenney a aussi promis d'abolir cette taxe s'il remporte, comme le suggèrent les sondages, les élections provinciales prévues en mai 2019.

Au début de la semaine, la ministre fédérale de l'Environnement, Catherine McKenna, a pour la première fois exprimé des craintes de voir le plan du gouvernement Trudeau s'effondrer comme un château de cartes non seulement à cause d'un possible changement de gouvernement en Ontario, mais aussi en raison de l'opposition de la Colombie-Britannique au projet d'élargissement de l'oléoduc Trans Mountain entre cette province et l'Alberta. La réalisation de ce projet était vue comme une condition tacite du gouvernement albertain pour l'adoption d'une taxe sur le carbone.

«Nous risquons de perdre notre plan sur le climat parce qu'il y a d'autres politiciens qui attendent de prendre le pouvoir, qui ne croient pas aux changements climatiques, qui ne croient pas qu'il faut agir et qui veulent abolir toutes ces mesures. Et ce n'est pas seulement dans une province. C'est dans un certain nombre de provinces», a déclaré la ministre McKenna au quotidien The Globe and Mail.

Dans les rangs libéraux à Ottawa, rares sont ceux qui croient à un miracle le 7 juin en Ontario. «Tout peut arriver durant une campagne électorale, mais il faut quand même être réaliste», a confié cette semaine une source libérale.

Mais ce que l'on redoute avant tout chez les libéraux, c'est que l'effondrement du plan sur le climat, combiné à la volte-face de Justin Trudeau sur la réforme électorale, ne donne au NPD une occasion en or de reconquérir le coeur des électeurs progressistes, mettant ainsi en péril l'obtention d'un deuxième gouvernement majoritaire libéral.