Les libéraux de Justin Trudeau ont accordé au début de 2016 un contrat de 100 000 $ à une entreprise appartenant à Christopher Wylie, le lanceur d'alerte au coeur du scandale sur l'utilisation des données personnelles de 50 millions d'abonnés de Facebook qui éclabousse ce géant du web et Cambridge Analytica depuis le début de la semaine.

Le bureau de recherche libéral a confirmé mercredi qu'il avait accordé un contrat à l'entreprise Eunoia Technologies, appartenant à M. Wylie, quelques mois seulement après la victoire des libéraux de Justin Trudeau aux élections fédérales d'octobre 2015.

Le mandat accordé à l'entreprise de M. Wylie, aux frais des contribuables, comprenait plusieurs volets. L'entreprise devait d'abord concevoir et organiser plusieurs échantillons nationaux de Canadiens afin d'explorer les réactions aux priorités stratégiques du gouvernement et d'autres questions d'importance nationale.

Ensuite, elle devait « établir des partenariats avec des membres du caucus libéral et recruter des électeurs pour cerner un éventail d'enjeux locaux ou régionaux qui ne sont pas couverts par les exercices de sondage nationaux généraux ».

De plus, l'entreprise devait donner un coup de main au bureau de recherche libéral afin de créer « une infrastructure et [de] surveiller les performances des députés libéraux dans leurs communications avec leurs électeurs ».

Enfin, cette entreprise devait aussi permettre au bureau de recherche libéral d'acquérir et de mettre en place « des outils de surveillance des médias sociaux ».

Mais dans un communiqué de presse, la directrice générale du bureau de recherche libéral, Melissa Cotton, a affirmé qu'il n'y avait pas eu d'autre contrat accordé à l'entreprise après avoir vu le travail qu'elle avait effectué.

« À aucun moment, Eunoia Technologies n'a eu accès aux données du Bureau de recherche libéral. Le projet avec Eunoia Technologies, dont la valeur s'élevait à 100 000 $, a été effectué conformément aux règles d'approvisionnement de la Chambre des communes », a dit Melissa Cotton.

Ces révélations surviennent alors que les pressions s'accentuent sur Facebook et sur Cambridge Analytica pour expliquer pourquoi les données personnelles de millions d'abonnés de Facebook ont été utilisées sans le consentement de ces derniers.

M. Wylie, qui a déjà travaillé au bureau de l'ancien chef du Parti libéral Stéphane Dion en 2007 et au bureau de son successeur Michael Ignatieff, jusqu'en 2009, vit actuellement à Londres, en Grande-Bretagne. Il a contribué à la création de la firme britannique Cambridge Analytica, avec l'ancien stratège de Donald Trump Steve Bannon. Depuis quelques jours, il soutient que Cambridge Analytica a obtenu de façon abusive les données privées d'utilisateurs de Facebook - environ 50 millions d'entre eux - afin de les utiliser pour soutenir la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016.

Mais en janvier 2016, plusieurs mois avant la victoire électorale de Donald Trump, M. Wylie a offert ses services au bureau de recherche du caucus libéral afin d'augmenter l'expertise des libéraux en matière d'utilisation de données.

« RÉVÉLATIONS TROUBLANTES »

Les révélations selon lesquelles l'analyste Christopher Wylie avait obtenu un contrat des libéraux ont alimenté la période de questions à la Chambre des communes, où le premier ministre Justin Trudeau brillait par son absence mercredi parce qu'il faisait une visite à Toronto.

« Protéger les informations personnelles des Canadiens devrait être la priorité absolue du gouvernement, mais le premier ministre a tout fait sauf être honnête avec les Canadiens au sujet des relations entre le Parti libéral et un individu qui a exploité les informations personnelles de millions de personnes à travers le monde », a affirmé le chef du Parti conservateur Andrew Scheer.

« Le lanceur d'alerte en lien avec le scandale des données Facebook a travaillé pour le Parti libéral et pour Donald Trump. En 2016, les libéraux ont recontacté leur ancien employé pour un projet pilote qui devait servir à ramasser les données de la vie privée des gens à des fins politiques. Ces révélations sont troublantes », a renchéri le député conservateur Alain Rayes, qui est le lieutenant politique de M. Scheer au Québec.

Le NPD a pour sa part demandé au commissaire à la protection de la vie privée Daniel Therrien de se pencher sur le contrat accordé à Christopher Wylie.

En l'absence du premier ministre, le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, a repris à son compte les grandes lignes du communiqué de presse publié par la directrice du bureau de recherche libéral, affirmant aussi que M. Wylie n'avait pas eu accès à des données personnelles de Canadiens.

Mais M. Brison a tout de même tenu à souligner qu'il s'était entretenu mercredi avec le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, qui avait annoncé mardi qu'il lançait une enquête sur l'utilisation des données des Canadiens par Facebook après avoir reçu une plainte contre Facebook.

M. Brison n'a toutefois pas révélé la teneur de la conversation qu'il avait eue avec M. Therrien.

Photo Andrew Testa, archives The New York Times

Le mandat accordé par le Parti libéral du Canada à Eunoia Technologies, entreprise de Christopher Wylie, comprenait plusieurs volets. La firme devait notamment concevoir et organiser plusieurs échantillons nationaux de Canadiens afin d'explorer les réactions aux priorités stratégiques du gouvernement.