La ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, qui doit gérer les retombées du scandale suscité par la révélation de multiples cas d'inconduite sexuelle dans le milieu humanitaire, vient de s'adjoindre les services d'une relationniste provenant d'une organisation directement touchée par la crise.

Justine Lesage, qui s'occupait jusqu'à tout récemment des communications pour Oxfam-Québec, incluant celles en lien avec la crise, a officiellement commencé son nouveau travail comme secrétaire de presse de Mme Bibeau le 20 février.

Elle avait annoncé son départ sur son compte Facebook au début du mois en relevant qu'elle quittait l'organisation humanitaire « après 16 ans de folies, de belles complicités, de rencontres incroyables » pour « poursuivre le travail à un niveau plus politique ».

Son passage au gouvernement, et l'impact potentiel de son arrivée sur l'attitude de la ministre relativement à la crise, n'est pas passé inaperçu dans le milieu humanitaire.

Patrick Robitaille, qui est directeur des programmes et du développement international chez Médecins du monde, a salué sur Facebook « l'appui » donné aux travailleurs humanitaires par Mme Bibeau lors de son passage dimanche à Tout le monde en parle pour aborder le sujet.

Il a noté dans son message que la politicienne avait été « bien brieffée » par Justine Lesage.

La nouvelle secrétaire de presse a répondu en ligne à M. Robitaille que les interventions de la ministre étaient le résultat d'un « bon travail d'équipe », ponctuant son message d'un émoticone souriant.

TRAVAIL « INCROYABLE », DIT LA MINISTRE

Tout en insistant sur la nécessité de contrer les inconduites sexuelles, la ministre a réitéré lors de son passage à l'émission de Radio-Canada qu'elle jugeait « incroyable » le travail fait par les organisations humanitaires sur le terrain.

Elle a par ailleurs répété qu'elle n'avait « aucune raison de douter » de la qualité du travail d'Oxfam-Québec et d'Oxfam-Canada, qui ont reconnu récemment à La Presse avoir dû faire face à quelques cas d'inconduite sexuelle parmi leur personnel.

Mme Bibeau a ajouté qu'elle n'avait aucune intention de revoir le financement de ces organisations, prenant le contrepied de son homologue britannique, qui a décidé de suspendre toute nouvelle subvention à Oxfam Grande-Bretagne.

Cette organisation, qui est indépendante d'Oxfam-Québec et d'Oxfam-Canada, se trouve dans la tempête depuis que des médias anglais ont révélé il y a quelques semaines qu'elle avait caché le licenciement d'employés ayant utilisé des prostituées en Haïti en 2011.

Le directeur des communications de la ministre Bibeau, Louis Bélanger, a indiqué dans un courriel transmis mardi à La Presse que l'embauche de Mme Lesage avait été confirmée le 20 janvier avant que la crise suscitée par les allégations contre Oxfam Grande-Bretagne n'éclate.

M. Bélanger a indiqué qu'il avait personnellement établi « les lignes » de la politicienne relativement à la crise avant l'arrivée de Mme Lesage et qu'aucun conseil n'avait été sollicité à ce sujet de sa part alors qu'elle était chez Oxfam-Québec.

Il a expliqué par ailleurs que Mme Lesage avait « participé avec d'autres membres du cabinet à la préparation de la ministre » pour l'entrevue à Tout le monde en parle. « C'est le travail d'équipe [auquel] elle fait référence », a expliqué M. Bélanger.

Le directeur des communications, qui a déjà travaillé huit ans chez Oxfam, affirme que ses liens passés avec cette organisation n'affectent pas son analyse de la crise et la manière dont il conseille la ministre à ce sujet.

INTERROGATIONS

Kate Bahen, qui dirige Charity Intelligence, une organisation qui suit les activités des organismes de bienfaisance canadiens, estime que la présence de deux ex-employés d'Oxfam dans l'entourage de la ministre doit susciter des interrogations.

« Est-ce que "l'équipe" vise à protéger la marque d'un organisme de bienfaisance - ou est-ce que le devoir du secteur humanitaire canadien est de protéger les femmes et les enfants vulnérables de l'abus et de l'exploitation sexuelle ? »

La députée conservatrice Michelle Rempel, qui presse la ministre Bibeau de suspendre le financement d'Oxfam-Québec et d'Oxfam-Canada, estime que les allégations relayées dans différents pays à propos d'employés de différentes organisations apparentées à Oxfam justifient d'ores et déjà une approche plus musclée à leur égard.

La ministre canadienne, qui chapeaute l'attribution annuelle de 180 millions de dollars aux organisations humanitaires canadiennes, répète qu'il est trop tôt pour décider de mesures formelles et continue de procéder à des consultations.

METTRE CARTES SUR TABLE

Contrairement à ce qui se passe en Grande-Bretagne, aucune organisation canadienne n'a été sommée de détailler tous les cas d'inconduite sexuelle survenus dans ses rangs. Plusieurs d'entre elles n'ont rien déclaré publiquement depuis l'éclatement de la crise.

François Audet, un spécialiste de l'humanitaire rattaché à l'UQAM qui était invité à Tout le monde en parle aux côtés de Mme Bibeau, estime que « le Canada pourrait faire plus » pour s'assurer que les cas d'inconduite sexuelle ont été et seront traités correctement à l'avenir.

M. Audet, qui est président du conseil d'administration de la fondation KANPE, une petite organisation humanitaire active en Haïti, estime que la ministre « doit encourager » activement les acteurs du milieu à mettre cartes sur table.

Le soutien financier du gouvernement peut constituer au besoin un « puissant levier » pour les amener à agir, note-t-il.