La ministre fédérale du Développement international, Marie-Claude Bibeau, qui s'inquiète de la divulgation récente de multiples cas d'inconduites sexuelles dans le monde de l'aide humanitaire internationale, entend passer en revue les pratiques des organisations canadiennes du secteur pour garantir qu'ils font le nécessaire pour empêcher les abus.

En entrevue à La Presse, la ministre a indiqué mercredi qu'elle entendait rencontrer prochainement «les 10 ou 12» plus importantes organisations humanitaires soutenues financièrement par Ottawa afin d'avoir une « idée précise » de leur approche et de dégager d'éventuels correctifs au besoin.

« Une fois que j'aurai fait l'état de la situation, je pourrai clarifier ce qu'il faut faire [...] Je vais prendre toutes les mesures qui s'imposent », a précisé Mme Bibeau, qui n'exclut pas d'exiger éventuellement que les organisations concernées soient tenues de signaler tous les cas d'inconduite sexuelle auxquels elles font face.

À l'heure actuelle, le Ministère injecte annuellement près de 180 millions de dollars par année dans le budget d'une vingtaine d'organisations humanitaires.

L'intervention de la ministre survient alors que les révélations touchant le milieu de l'aide humanitaire continuent de se multiplier.

Hier, la direction internationale de Médecins sans frontières (MSF) a révélé dans un communiqué qu'elle avait fait face en 2017 à 24 cas allégués de harcèlement ou d'abus sexuels parmi ses 40 000 employés. De ce nombre, 19 ont été congédiés, les autres ayant reçu un avertissement ou une suspension. L'organisation n'a pas précisé combien de ces cas elle avait signalés à la police.

La section canadienne de MSF n'a pu fournir hier de données sur le nombre de cas touchant son propre personnel.

SCANDALE EN HAÏTI

Les chiffres globaux révélés par MSF font écho à ceux d'Oxfam Grande-Bretagne, qui a reçu 87 plaintes pour harcèlement ou abus sexuel pour l'année se terminant en avril 2017. Plus d'une vingtaine d'employés sur les 5000 que compte l'organisation ont été congédiés et une cinquantaine de cas ont été portés à l'attention de la police.

L'organisation britannique doit composer avec une vive polémique depuis que le quotidien The Times a révélé vendredi qu'une demi-douzaine d'employés travaillant en Haïti ont utilisé des prostituées en 2011.

Le directeur du pays, qui avait des antécédents en la matière selon une ancienne collaboratrice citée par un site spécialisé, a été autorisé à quitter ses fonctions sans être formellement démis et s'est retrouvé ensuite un emploi dans le secteur humanitaire.

Les organisations canadiennes liées à Oxfam International, qui sont beaucoup plus petites que leur pendant britannique, disent avoir eu à traiter quelques cas seulement d'inconduites sexuelles sur une période de dix ans.

Comme l'a rapporté hier La Presse, Oxfam-Québec a coupé les ponts durant cette période avec trois employés ayant eu des comportements jugés répréhensibles en Haïti et en République démocratique du Congo.

LA MINISTRE RASSURÉE

Mme Bibeau a rencontré lundi les dirigeants des deux organisations et s'est dite rassurée par leur exposé quant à l'efficacité des mesures en place pour contrer ce type de comportement et traiter les cas qui sont portés à leur attention.

Oxfam-Québec, dit-elle, a notamment démontré relativement aux cas rapportés une « attitude de tolérance zéro » et une « capacité à agir rapidement ».

Rien, selon Mme Bibeau, ne justifierait à ce stade d'envisager de revoir le financement public des organisations humanitaires d'ici comme la secrétaire d'État au Développement international britannique, Penny Mordaunt, menace de le faire pour Oxfam Grande-Bretagne.

Les organisations canadiennes « ont appris de 2011 », relève la politicienne, qui a appelé hier Mme Mordaunt pour l'assurer de son soutien.

« Elle prend le taureau par les cornes [pour faire bouger les choses] », dit Marie-Claude Bibeau.

Tout en insistant sur sa volonté de garantir que les organisations humanitaires sont toutes correctement outillées pour contrer les abus, Mme Bibeau a tenu hier à souligner l'importance du travail réalisé à travers le monde par les coopérants.

Il faut évidemment, relève-t-elle, s'attaquer aux individus ayant eu un comportement « insupportable », mais il ne faut pas oublier pour autant que la majorité des acteurs du secteur « sont d'une générosité et d'un courage exemplaires ».

La ministre affirme en avoir eu une nouvelle illustration lors d'un récent voyage au Nigeria, où elle a pu visiter un camp de réfugiés accueillant des familles qui fuient les militants intégristes de Boko Haram.

Elle relate notamment avoir croisé un enfant de 11 ans qui a vécu trois ans dans le maquis sous l'emprise des rebelles et qui venait à peine de retrouver ses proches.

Les travailleurs humanitaires, dit-elle, ont une lourde tâche à assumer face à de telles souffrances.

« C'est extraordinaire, ce que font les coopérants là-bas. Ça doit être très difficile de ne se faire raconter que des horreurs toute la journée tout en jouant le rôle de soutien moral auprès des personnes touchées », souligne-t-elle.

Ces propos font écho à ceux de la direction d'Oxfam-Québec, qui a écrit vendredi dernier à ses donateurs pour tenter de les rassurer face aux allégations touchant Oxfam Grande-Bretagne.

« En cette période douloureuse, nous sommes convaincus que nos fidèles donatrices et donateurs comme vous sauront faire la part des choses entre un groupe de personnes au comportement impardonnable et le travail extraordinaire qu'Oxfam-Québec fait au quotidien pour lutter contre la pauvreté et les inégalités », indique la missive.

Un modèle à suivre ?

Oxfam-Québec, qui affirme avoir relevé en dix ans trois cas allégués d'inconduite sexuelle au sein de son personnel, dit vouloir devenir « un modèle à suivre » pour lutter contre ce type d'abus et entend à cette fin multiplier les initiatives de concert avec les autres organisations indépendantes regroupées sous la bannière d'Oxfam International. La directrice générale de l'organisation québécoise, Denise Byrnes, a notamment annoncé hier la mise sur pied d'une ligne téléphonique et d'une boîte courriel, accessible à jenparle@oxfam.org, qui doit permettre à compter de vendredi au public de transmettre des informations concernant le comportement du personnel.