Alors que la crise du fentanyl continue de faire des victimes au pays, les autorités canadiennes voient poindre à l'horizon une nouvelle menace qui pourrait rendre encore plus complexe la lutte contre ce fléau : le fentanyl liquide.

L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui, depuis 2016, a commencé à saisir de plus en plus de colis en provenance de l'étranger contenant du fentanyl en poudre, a lancé cet avertissement dans un rapport national de renseignement daté de juillet 2017.

«Au cours de l'année à venir, il est probable qu'une autre forme de fentanyl fera l'objet d'un abus, le fentanyl liquide. En effet, le trafic s'étend du fentanyl sous forme de timbres et de poudre à celui sous forme de liquide à vapoter», peut-on lire dans ce rapport obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

L'ASFC n'offre toutefois pas plus de détails sur cette drogue qui pourrait faire son entrée au pays sous une autre forme et qui fait déjà des ravages dans les provinces de l'Ouest depuis quelques années et commence aussi à se répandre dans l'est du pays. Cet avertissement est inscrit sous la rubrique «Prévision» dans le rapport national de renseignement, rapport qui est remis chaque mois aux autorités canadiennes.

Les autorités canadiennes estiment qu'en 2017, près de 4000 personnes ont perdu la vie à la suite d'une surdose attribuable au fentanyl au Canada. Il s'agit d'une hausse importante en comparaison des 2861 morts survenues en 2016. L'épicentre de cette crise des opioïdes demeure la Colombie-Britannique, où les autorités évaluaient à 1400 le nombre de personnes qui ont succombé à une surdose l'an dernier.

Des milliers de grammes saisis

En 2016, l'ASFC a réussi à intercepter 20 533 grammes de fentanyl en poudre dans une centaine de colis expédiés de l'étranger. À elle seule, cette quantité de drogue, évaluée à 5,8 millions de dollars sur le marché noir, aurait été suffisante pour produire 10,2 millions de doses fatales. Durant les 11 premiers mois de 2017, l'ASFC a réussi à mettre la main sur 12 810 grammes, pour une valeur de 3,6 millions de dollars, selon des données obtenues par La Presse.

Durant une descente en mai 2016, la police de Hamilton affirme avoir saisi une drogue qui s'est avérée être du fentanyl liquide après des tests effectués par Santé Canada. C'était la première fois que l'on retrouvait cette drogue sous forme liquide au Canada, selon l'enquêteur Adam Brown, de la Police de Hamilton.

Le bureau de la ministre fédérale de la Santé Ginette Petitpas Taylor a indiqué à La Presse être au courant de cette nouvelle forme de fentanyl qui aurait fait son entrée sur le territoire canadien, mais soutient n'avoir pas été mis au courant de cas de surdose lié à la consommation de fentanyl liquide.

En décembre, la ministre Petitpas Taylor a annoncé des investissements de 1,8 million de dollars en recherche à Montréal pour combattre la crise des opioïdes. En tout, Ottawa a décidé d'investir 7,5 millions à l'échelle du pays afin de permettre à plusieurs centres de poursuivre leur travail de recherche sur ce fléau. Au Québec, les recherches sont menées au pôle de recherche interventionnelle en toxicomanie du Centre de recherche du CHUM sous la houlette de la chercheuse et médecin Julie Bruneau.

Jointe par La Presse, Mme Bruneau a aussi affirmé n'avoir pas été saisie de cas de consommation de fentanyl liquide. «Jusqu'ici, les gens qui disent prendre du fentanyl et qui disent que c'est la drogue qu'ils consomment, comme on voit cela dans l'ouest du pays, c'est beaucoup moins fréquent ici», a indiqué Mme Bruneau.

«Très préoccupant»

Le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de santé, le député de la Colombie-Britannique Don Davies, se dit fort inquiet d'apprendre le constat de l'ASFC, étant donné que le fentanyl a fait tant de victimes dans sa province. Il a indiqué qu'aucun cas de surdose liée à la consommation de fentanyl liquide ne lui avait été signalé jusqu'ici, lui qui talonne le gouvernement Trudeau sans arrêt à la Chambre des communes depuis plus d'un an pour qu'il décrète une urgence nationale de santé publique.

«Il semble que ce soit vraiment une nouvelle drogue qui pourrait aboutir dans nos rues. Cela est très préoccupant. On l'a vu dans les récentes statistiques sur les surdoses. Les choses empirent. Et si on voit une nouvelle forme de fentanyl, cela risque d'aggraver la crise des opioïdes. Vous savez bien que ce qui arrive en Colombie-Britannique ne reste pas en Colombie-Britannique. Ce n'est qu'une question de temps avant que cela frappe d'autres communautés», a affirmé à La Presse M. Davies dans une entrevue téléphonique.

 Cela renforce notre demande pour que l'on déclare une urgence nationale de santé publique. Car toute forme de fentanyl qui n'est pas familière aux gens risque de mener à une augmentation de surdoses et de morts. Il faut prendre les devants de cette crise. On ne peut pas juste réagir après les faits.»

Il a ajouté que le gouvernement canadien avait sorti l'artillerie lourde pour combattre le virus de la grippe H1N1 en 2009 en ouvrant notamment un centre des opérations d'urgence qui avait mobilisé des effectifs 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et représenté des dépenses de 322 millions de dollars, alors que ce virus a entraîné 428 morts. Mais dans le cas de la crise des opioïdes, qui a fait environ 4000 morts l'an dernier, le gouvernement fédéral a investi une centaine de millions jusqu'ici pour combattre ce fléau.

- Avec William Leclerc, La Presse