Justin Trudeau a pu séjourner plusieurs années durant son enfance au 24, Sussex, la résidence officielle du premier ministre, alors que son père dirigeait le gouvernement canadien. Mais tout indique qu'il ne pourra pas y déménager ses pénates, même s'il est aujourd'hui premier ministre, du moins durant son premier mandat, les projets de rénovations de cette résidence étant encore en suspens plus de deux ans après son arrivée au pouvoir.

Après sa victoire électorale, en octobre 2015, M. Trudeau a choisi d'installer sa petite famille à Rideau Cottage, une maison située sur le terrain de Rideau Hall, où se trouve la résidence du gouverneur général à Ottawa, afin de permettre à la Commission de la capitale nationale (CCN) de mener à bien les travaux de rénovation qui s'imposent au 24, Sussex.

Depuis lors, la famille Trudeau partage son temps entre Rideau Cottage et la résidence du lac Mousseau (Harrington Lake), dans le parc de la Gatineau, laquelle sert de résidence secondaire au premier ministre. Il arrive à l'occasion que certains membres de la famille se rendent au 24, Sussex afin d'utiliser la piscine de la résidence, qui a d'ailleurs été installée à la demande de l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau.

«Pas de sentiment d'urgence»

Mais si les Trudeau ont accepté de donner satisfaction à la CCN en n'occupant pas le 24, Sussex - contrairement à l'ancien premier ministre conservateur Stephen Harper, qui avait écarté l'idée de quitter cette résidence durant ses années au pouvoir, au motif que les millions nécessaires pour la rénover auraient fait bondir de colère les contribuables au moment où les effets de la crise économique mondiale de 2008-2009 se faisaient toujours sentir au pays -, aucun projet de rénovations majeures n'a été réalisé. Pis encore, aucun plan précis concernant l'avenir de cette résidence n'a encore été arrêté, a appris La Presse.

«On ne sent pas qu'il y a un sentiment d'urgence dans ce dossier de la part des acteurs qui sont impliqués», a expliqué hier une source bien au fait du dossier, qui a exigé l'anonymat parce qu'elle n'était pas autorisée à en discuter publiquement.

La résidence officielle du premier ministre n'a pas fait l'objet de travaux de rénovation depuis l'époque où Louis St-Laurent était premier ministre, soit depuis six décennies. 

Dans un rapport publié en 2008, l'ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser estimait à près de 10 millions de dollars la facture totale pour rénover la résidence. Dans le rapport, on relevait que l'on devait d'abord retirer l'amiante de la résidence, remplacer les fenêtres, installer des gicleurs et refaire les systèmes de plomberie et d'électricité.

Mais en novembre 2016, le site iPolitics rapportait que les travaux pourraient coûter plus cher, soit 38 millions de dollars, parce que l'on songerait à construire aussi un nouvel immeuble lié à la sécurité pouvant notamment accueillir le premier ministre et le cabinet durant une situation de crise. 

Le site iPolitics avait mis la main sur des documents de la firme d'architectes KWC ainsi que de la firme Marshall & Murray Inc., qui avaient planché sur des propositions soumises à la CCN et au ministère du Patrimoine. Les travaux de rénovation du 24, Sussex étaient alors évalués à 13,5 millions de dollars et la facture liée à la construction du nouveau bâtiment atteindrait 11,9 millions de dollars, entre autres choses.

«La résidence a besoin d'être rénovée. Mais elle n'est pas en train de tomber en ruine», assure une source au fait du dossier.

Comment explique-t-on cette lenteur à prendre une décision? Selon nos informations, la CCN, qui est responsable des résidences officielles situées dans la région de la capitale nationale, n'est pas l'unique responsable du dossier. Le ministère du Patrimoine, le ministère des Finances, le bureau du Conseil privé ainsi que la Gendarmerie royale du Canada ont aussi leur mot à dire, surtout dans la foulée de l'attentat terroriste survenu au parlement en octobre 2014.

Résultat : les velléités des uns ne correspondent pas forcément aux ambitions des autres. Doit-on se contenter de rénover la résidence? Doit-on plutôt faire table rase pour construire à neuf? Profiter de l'occasion pour ériger une nouvelle résidence officielle avec un bureau de travail, comparable à la Maison-Blanche à Washington? Autant de scénarios qui sont évoqués et étudiés par les autorités, sans toutefois que l'on arrive à une décision. Tant et si bien que ce n'est pas demain que la famille Trudeau pourra faire ses valises pour s'installer au 24, Sussex.

À la CCN, le gestionnaire principal aux communications, Jean Wolff, a indiqué que la CCN continuait de travailler avec ses partenaires dans ce dossier. «La Commission de la capitale nationale continue de travailler avec ses partenaires fédéraux, y compris la GRC, pour élaborer un plan pour l'avenir du 24, promenade Sussex, afin de s'assurer que le gouvernement soit en mesure de prendre une décision prudente et éclairée. Cela comprend les questions liées à la sécurité, la fonctionnalité, la durabilité environnementale, l'accessibilité universelle et la préservation du patrimoine. Plus d'information sera disponible en temps opportun», a-t-il affirmé dans un courriel à La Presse.

La GRC toujours aux aguets

Même si la résidence officielle du premier ministre est inoccupée, au moins deux agents de la GRC surveillent les lieux 24 heures sur 24. La GRC a d'ailleurs refusé de divulguer à La Presse les coûts liés à la sécurité du 24, Sussex depuis deux ans, même si une demande à ce sujet a été formulée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

En outre, il faut continuer à entretenir la résidence. Radio-Canada rapportait en août 2016 que l'entretien de novembre 2015 à avril 2016 avait coûté en moyenne 36 000 $ par mois aux contribuables.

La Presse a aussi obtenu certains des plus récents coûts liés à l'entretien de la résidence. En moyenne, il en coûte environ 5000 $ en électricité par mois durant l'été et près de 9500 $ par mois durant l'hiver.

«Bien que le premier ministre et sa famille ne résident actuellement pas au 24, Sussex, les bâtiments continuent d'être essentiels au travail quotidien du personnel de la maison et du service de sécurité de la GRC; les bâtiments sont utilisés 365 jours par année», a indiqué M. Wolff. Le bureau du premier ministre Trudeau n'a pas voulu commenter ce dossier hier.

- Avec William Leclerc