Après quelques heures de négociations, le gouvernement Trudeau s'est rangé lundi aux arguments des provinces en acceptant de leur verser 75 % des revenus provenant de la taxe fédérale d'accise sur la vente du cannabis, reconnaissant ainsi qu'elles auront à assumer une partie importante des coûts liés à ce changement de régime à compter du 1er juillet 2018.

Le ministre fédéral des Finances Bill Morneau a annoncé avoir paraphé une entente de deux ans avec ses homologues provinciaux sur le partage des revenus de la taxe d'accise. En vertu de cette entente, Ottawa accepte de remettre les trois quarts des revenus de la taxe d'accise aux provinces, soit l'équivalent d'une somme de 300 millions de dollars qui sera répartie au prorata de la population. En tout, le gouvernement fédéral calcule que la taxe d'accise lui rapportera 400 millions de dollars par année durant les deux premières années, somme qui devrait par la suite augmenter au fur et à mesure que le marché légal du cannabis remplacera le marché noir, dominé par le crime organisé.

En outre, le gouvernement fédéral s'est engagé à empocher un maximum de 100 millions de dollars par année, laissant donc aux provinces la hausse prévisible des revenus qui seront perçus grâce à la taxe d'accise. Le Manitoba a accepté les grandes lignes de l'entente, mais le ministre des Finances de la province, Cameron Friesen, a dit vouloir en étudier les retombées avant de l'approuver formellement.

Le Québec devrait obtenir environ 60 millions de dollars en vertu de l'entente, selon les calculs du grand argentier de la province, Carlos Leitão, qui s'est dit « très satisfait » du résultat des négociations.

« Aujourd'hui constitue une bonne journée pour le fédéralisme », a lancé le ministre Bill Morneau à l'issue de la rencontre avec ses homologues provinciaux, qui se sont rassemblés derrière lui durant la conférence de presse.

« Notre objectif est de faire en sorte que nos enfants n'auront plus accès à la marijuana et que nous sortons le marché noir de la vente de cannabis. [...] Je crois que l'entente que nous avons conclue va nous permettre d'atteindre ces objectifs », a dit le ministre.

Ottawa et les provinces se sont aussi entendus pour limiter à 10 $ le prix total d'un gramme de marijuana - un prix qui inclura la taxe d'accise et les taxes de vente des deux ordres de gouvernement. La taxe d'accise devrait s'élever à 1 $ le gramme ou 10 % du prix du produit.

« TRAVAILLER AVEC LES MUNICIPALITÉS »

Visiblement, le gouvernement Trudeau ne souhaitait pas s'engager dans une guerre des mots avec les provinces sur cette question, d'autant plus que son objectif demeure de légaliser la marijuana à des fins récréatives à compter du 1er juillet 2018 - un délai jugé ambitieux par plusieurs provinces et des corps policiers.

Devant les journalistes, le ministre Morneau a indiqué qu'il incombera aux provinces de verser les sommes adéquates aux municipalités pour les aider à assumer les coûts liés à la légalisation de la marijuana.

« Nous allons travailler avec les municipalités », a immédiatement déclaré le ministre Carlos Leitão. « Comme vous le savez très bien, les villes ne sont pas toutes pareilles. Il y a de grandes villes. Il y a des villes plus petites au Québec. Il y a un certain nombre de villes où c'est la Sûreté du Québec qui s'occupe de la sécurité, dans d'autres endroits, c'est le corps de police municipal », a-t-il dit.

« On va travailler avec les villes et nous allons trouver des moyens de bien réglementer ce marché. Le cannabis, ce n'est pas un produit qui est banal », dit Carlos Leitão.

L'Union des municipalités du Québec (UMQ) s'est félicitée de voir que le gouvernement fédéral a entendu le message des municipalités du pays. Le président de l'UMQ et maire de Drummondville, Alexandre Cusson, a soutenu que les municipalités devraient obtenir le tiers des revenus et a proposé que la part municipale soit transmise directement aux municipalités sur le modèle du transfert de la taxe sur l'essence.

Au départ, le gouvernement fédéral avait proposé de verser la moitié seulement des revenus provenant de la taxe d'accise aux provinces et de conserver l'autre moitié. Cette proposition avait été soumise par le premier ministre Justin Trudeau lui-même lors de la dernière rencontre avec ses homologues provinciaux, en octobre. Elle avait été immédiatement rejetée par les provinces, qui ont fait valoir que la légalisation du cannabis leur imposait un fardeau financier nettement plus important en matière de sécurité et de santé, entre autres, sans compter qu'Ottawa a demandé aux provinces de s'occuper des questions touchant la réglementation et la distribution de cette drogue.

LA MAIRESSE DE MONTRÉAL SATISFAITE

La mairesse de Montréal s'est réjouie de voir une entente entre Ottawa et les provinces, mais elle dit vouloir s'assurer que les villes touchent leur part. « C'est une bonne nouvelle, mais on va faire les négociations avec l'ensemble des municipalités parce que nous avons besoin de ressources. C'est nous qui gérons les impacts », a réagi Valérie Plante. Cette dernière n'a pas caché sa déception de voir que les villes n'avaient pas été invitées à la table de négociation. « On aurait souhaité d'emblée avoir un accord comme quoi les municipalités vont avoir une part. Mais bon, 75 % iront à la province, alors on va négocier directement avec Québec. » Afin de faire face à la légalisation de la vente du cannabis, Valérie Plante souligne que la métropole québécoise devra revoir la formation de ses policiers et réviser sa réglementation pour limiter notamment la vente de marijuana autour des écoles. La mairesse dit avoir abordé la question lors d'une rencontre plus tôt lundi avec la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor.

- Avec Pierre-André Normandin, La Presse