Le gouvernement fédéral soumet une série de propositions pour réglementer le cannabis, à partir de la graine jusqu'à l'emballage dans lequel il sera vendu, en passant par les endroits où la plante sera cultivée et transformée.

Les libéraux ratissent large dans le document consultatif de près de 80 pages qui sert de canevas pour la consultation publique dont le coup d'envoi a été donné mardi. Ottawa veut entendre provinces, communautés autochtones et simples citoyens jusqu'au 20 janvier 2018.

Le  gouvernement ne va pas jusqu'à proposer des emballages neutres pour les produits du cannabis dans son approche réglementaire. En revanche, il voudrait voir des «limites strictes» sur l'utilisation de couleurs ou d'éléments graphiques susceptibles d'accrocher les jeunes.

Les éléments «les plus proéminents» sur les emballages devraient être les messages de mise en garde sur la santé et le symbole normalisé de cannabis, croit Santé Canada, qui envisage également de «limiter l'utilisation de la couleur et de la taille» pour les éléments de marque.

Le gouvernement Trudeau dit par ailleurs vouloir faire de la place tant aux petits qu'aux grands producteurs et transformateurs dans le marché émergent du cannabis récréatif, que l'on souhaite légaliser d'ici juillet 2018.

Et la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, a signalé mardi en conférence de presse qu'Ottawa n'avait pas établi de limite au nombre de joueurs qui sauteront dans l'arène le moment venu.

«Je veux être très claire aujourd'hui qu'on veut offrir la possibilité pour les petites et les moyennes entreprises de pouvoir entrer (dans) ce marché. Nous n'allons pas dire combien de licences qui vont être données», a-t-elle indiqué.

Dans son document, le fédéral propose une variété de catégories de licences de production et de transformation, incluant une «licence de microculture» et détaille des normes de sécurité à appliquer pour «réduire le risque d'infiltration du crime organisé dans l'industrie légale».

Sur certains aspects sécuritaires, le gouvernement aimerait injecter «plus de souplesse», ayant tiré des enseignements de la vente de cannabis médical, selon ce qu'ont affirmé des responsables gouvernementaux lors d'une séance d'information technique, mardi après-midi.

Par exemple, sous le régime proposé, l'obligation de conserver le cannabis dans des voûtes bancaires disparaîtrait, et les vidéos de sécurité devraient être conservés non plus pendant deux ans, comme c'est le cas actuellement, mais bien pendant un an, a-t-on illustré.

Bref, en vertu du cadre réglementaire concocté par Ottawa,@ il reviendrait aux producteurs «de décider quelles mesures prendre pour garder le cannabis de façon sécuritaire», a exposé une responsable gouvernementale ne pouvant être identifiée.

Rien de définitif

La ministre Petitpas Taylor a assuré mardi qu'aucune des propositions contenues dans le document n'était coulée dans le béton. La consultation publique se tiendra en même temps qu'Ottawa poursuivra ses échanges avec les provinces et territoires, a-t-elle dit.

La démarche consultative lancée par les libéraux a été raillée par la députée néo-démocrate Hélène Laverdière.

«On a vraiment l'impression que le gouvernement veut pousser ça de force. Des consultations de 60 jours qui tombent pendant la période des Fêtes, c'est un très bon exemple de comment ne pas consulter», a-t-elle observé en point de presse dans le foyer de la Chambre.

Au bureau de la ministre québécoise de la Santé publique, Lucie Charlebois, on a dit vouloir prendre connaissance du document produit par le fédéral avant de se prononcer sur ses diverses propositions.

Pour l'élu conservateur Pierre Paul-Hus, cette consultation lancée alors que les députés s'apprêtent à enregistrer leur vote final sur le projet de loi démontre que les libéraux ne sont «pas prêts» et que son parti a raison de dire qu'il reste une foule d'«éléments à régler».

«Ça fait juste prouver ce qu'on dit depuis le début: que c'est un projet de loi bâclé», a-t-il déploré en entrevue avec La Presse canadienne.

Les libéraux coupent court au débat

Mardi soir, en Chambre, les députés ont adopté à 201 voix contre 97 le projet de loi C-45 à l'étape du rapport. Quelques heures auparavant, l'opposition s'était insurgée de la décision des libéraux de limiter le débat sur la légalisation du cannabis.

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice a accusé le gouvernement Trudeau de faire preuve de «mépris» à l'endroit des Autochtones, des acteurs de la société civile et des provinces, dont le Québec, qui avaient réclamé un délai.

Ceux qui, parmi eux, ont demandé un peu plus de temps au fédéral pour se préparer à ce changement législatif majeur se sont heurtés à «un gouvernement qui se dit à l'écoute, mais en fait, qui est sourd comme un pot», a-t-il martelé en Chambre.

Le député bloquiste Rhéal Fortin a abondé dans le même sens, reprochant dans une déclaration écrite au gouvernement de «forcer le Parlement à tourner les coins ronds sur cette question importante» alors que de «nombreuses questions» restent en suspens.

Dans les banquettes conservatrices, la députée Marilyn Gladu a dit trouver «scandaleux» ce bâillon imposé par un gouvernement qui «précipite les choses depuis le début pour atteindre cette date butoir arbitraire».

L'élue de l'Ontario, une farouche opposante à la légalisation de la substance, a par ailleurs rappelé que le Canada pourrait se retrouver en violation de traités internationaux dès lors qu'il aura légalisé la substance.

En marge d'une annonce dans le foyer de la Chambre, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a dit travailler «étroitement» avec ses collègues à la Justice et à la Santé en ce qui concerne les «obligations internationales» du Canada.

«C'est un travail complexe, mais on a commencé à le faire», faisant remarquer que «c'est important aussi de se rendre compte que par exemple notre voisin les États-Unis a légalisé la marijuana dans beaucoup d'États».

Le vote final en troisième lecture aux Communes devrait se tenir au début de la semaine prochaine. La balle se retrouvera ensuite dans le camp du Sénat.

Impact économique du marché sous la loupe

De son côté, Statistique Canada a annoncé mardi la mise sur pied d'un mécanisme visant à recueillir des données sur les répercussions économiques et sociales de la légalisation.

L'agence fédérale, qui amorce sa collecte de données dès maintenant, souhaite déterminer quelles seront les «conséquences économiques et sociales» de l'émergence d'un nouveau marché légal de la vente de cannabis récréatif.

Le système statistique pourra dorénavant s'appuyer sur des chiffres fiables, note Statistique Canada dans un communiqué annonçant la création de l'outil appelé «compte économique sur le cannabis».

Car «une fois le cannabis légalisé, la majeure partie de la production, des ventes et de la consommation de cannabis passerait d'une activité clandestine à une activité légale, ce qui en facilitera la mesure et la production de rapports le concernant», fait remarquer l'agence.