L'émergence d'un questionnaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) visant les demandeurs d'asile musulmans au Québec a suscité des critiques, jeudi, sur la gestion par le gouvernement libéral fédéral de l'arrivée massive l'été dernier de migrants en provenance des États-Unis.

Le questionnaire a été utilisé au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle, au Québec.

Le questionnaire demandait notamment de révéler des opinions sur la liberté de culte, les groupes terroristes islamistes et le voile porté par certaines femmes musulmanes.

Scott Bardsley, porte-parole du ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale, a déclaré que le ministère avait appris l'existence du document mardi, et avait été immédiatement préoccupé par certaines questions jugées inappropriées et non conformes aux politiques du gouvernement.

M. Bardsley a précisé que la GRC avait suspendu l'utilisation du questionnaire.

Une copie du questionnaire a été remise à La Presse canadienne par l'avocat torontois Clifford McCarten.

M. McCarten a dit avoir obtenu le document d'un client demandant le statut de réfugié, qui s'était fait remettre le questionnaire de trois pages et de 41 questions par erreur.

«Il a été scandalisé par les questions», a soutenu l'avocat. L'homme est originaire d'un pays majoritairement musulman, a-t-il précisé.

«Le Canada est un pays très libéral qui croit à la liberté de la pratique religieuse et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Quelle est votre opinion sur ce sujet? Comment vous sentiriez-vous si votre patron était une femme? Comment vous sentez-vous par rapport aux femmes qui ne portent pas le hijab?», affirme le questionnaire, qui pose aussi la même question sur d'autres pièces couvrant la tête ou le corps, dont le dupatta, le niqab, le tchador et la burqa.

M. Bardsley a affirmé que le document avait été seulement utilisé «localement», mais n'a pas voulu dire s'il pourrait y avoir des répercussions pour des membres de la GRC impliqués dans sa conception et sa mise en circulation.

Il a transmis ces questions à la GRC, mais une porte-parole a indiqué jeudi que les responsables de la police fédérale n'accorderaient pas d'entrevue sur cette affaire. Par communiqué, la GRC a affirmé que le «guide d'entrevue» avait été utilisé par la Division C au Québec et «révisé afin de mieux évaluer les individus entrant au pays dont l'origine est inconnue, tout en étant respectueux de leur situation».

Un meilleur leadership réclamé

M. McCarten a fait valoir que l'existence du document soulève des questions sur la compétence du gouvernement fédéral à gérer l'afflux soudain de demandeurs d'asile en provenance des États-Unis.

«Si, en effet, il s'agit d'une décision d'une division locale - ce que j'ai un peu de difficulté à croire -, alors il est profondément inquiétant que l'un des secteurs les plus problématiques, sinon le plus problématique, pour les politiques sur les réfugiés et l'immigration canadienne en ce moment (...) n'ait pas de stratégie fédérale sur la manière de faire les contrôles», a souligné l'avocat.

Les néo-démocrates ont soutenu que le gouvernement se devait de démontrer un meilleur leadership dans la gestion de l'afflux de demandeurs d'asile.

«Les Canadiens doivent avoir l'assurance que des mesures de sécurité sont en place, mais cela ressemble davantage à du profilage religieux», a affirmé par communiqué Matthew Dubé, porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de sécurité publique et de protection civile.

«De deux choses l'une: le ministre était au courant de cette pratique et n'a rien fait, ou encore il n'a pas de contrôle sur les pratiques qui sont utilisées», a-t-il ajouté.

Jenny Kwan, porte-parole du NPD en matière d'immigration et de réfugiés, a appelé le gouvernement à fournir des détails sur l'utilisation du questionnaire.

«Le nombre de fois que quelqu'un prie ne devrait avoir aucune incidence sur son statut de réfugié. Cela ne reflète pas qui nous sommes», a déclaré Mme Kwan.

Le questionnaire demande aux répondants de préciser leur religion et la fréquence de pratique de leur religion.

M. McCarten a affirmé que la GRC se devait de mener des vérifications de sécurité, tout en soulignant que les questions s'attardent à certaines menaces potentielles pour le Canada et pas à d'autres, par exemple la «violence suprémaciste aux États-Unis».

«(Le document) pose des questions qui sont discriminatoires, qui reflètent un certain biais institutionnel et une ignorance institutionnelle de la GRC sur la nature du risque», a-t-il soutenu.

M. McCarten a affirmé que de demander à un musulman son opinion sur des foulards couvrant la tête est «absurde» et revient à «demander à une personne juive son opinion sur les hommes qui ne portent pas la kippa».