Fanfare militaire, tapis rouge, larges sourires et accolades chaleureuses : le président du Mexique Enrique Peña Nieto n'a ménagé aucun effort pour la première visite officielle de Justin Trudeau dans son pays. La rencontre, prévue de longue date, s'est toutefois déroulée alors que les menaces pesant sur l'ALENA atteignaient un niveau sans précédent, jeudi.

Les deux dirigeants se sont entretenus pendant 90 minutes en soirée au Palais national, au coeur de Mexico, où battaient de gigantesques drapeaux canadiens pour l'occasion. La veille de leur rencontre, Donald Trump avait réitéré ses menaces de « mettre un terme » à l'Accord de libre-échange nord-américain ou de conclure exclusivement des ententes bilatérales. Les Américains ont renchéri hier en déposant une série de demandes jugées irréalistes et inacceptables.

Qu'à cela ne tienne, Justin Trudeau a réitéré son engagement à consolider sa relation avec le Mexique, tant au sein de l'ALENA que dans un contexte bilatéral. « Nous allons continuer de chercher, dans des circonstances parfois imprévisibles, la meilleure façon d'approfondir les liens et le commerce entre nos pays, et surtout d'améliorer les opportunités pour tous nos citoyens », a-t-il déclaré pendant une conférence de presse conjointe.

Enrique Peña Nieto a pour sa part tenu à exposer la position du Mexique dans le cadre des présents pourparlers.

« Comme le premier ministre Trudeau l'a dit, ça devrait être une situation gagnant-gagnant-gagnant ; toutes les parties impliquées devraient obtenir des bénéfices pour le bien-être de leur société. »

- Enrique Peña Nieto, président du Mexique

TRUDEAU SUPERSTAR

Autant Donald Trump et Enrique Peña Nieto sont impopulaires au Mexique, autant Justin Trudeau a été accueilli en superstar dans la mégalopole de 20 millions d'habitants, jeudi. Les médias mexicains ont largement couvert les déplacements du premier ministre et de sa femme Sophie Grégoire. Ceux-ci ont notamment déposé une couronne de fleurs au parc de Chapultepec et honoré la mémoire des victimes des récents tremblements de terre.

Dans le quartier huppé de Polanco, près de l'hôtel où logent M. Trudeau et son entourage, plusieurs citoyens ont confié à La Presse leur admiration envers le politicien. Sergio Del Barrio, gestionnaire en technologies de l'information de 38 ans, salue en particulier l'abolition récente des visas obligatoires pour les voyageurs mexicains, mesure qui avait été imposée par le précédent gouvernement conservateur.

« Ce qu'il a fait avec les visas, ça a beaucoup contribué à la bonne opinion qu'ont de lui les Mexicains, a avancé le père de famille. On est allés en vacances à Montréal, l'hiver dernier, et ça ne nous a pris que dix minutes pour obtenir nos visas sur le web. »

Pour Ruben Salas Guerrero, chauffeur de taxi de 73 ans tiré à quatre épingles, la visite de Justin Trudeau n'aurait pu tomber à un meilleur moment.

« C'est très bien que le premier ministre vienne ici : ça envoie le message qu'on pourra faire un accord à deux pays, entre le Canada et le Mexique, si le fils de pute de Trump déchire bel et bien l'ALENA. »

- Ruben Salas Guerrero, un chauffeur de taxi de 73 ans

L'ÉPINEUX DOSSIER DE GENERAL MOTORS

Malgré la relation étroite entre le Canada et le Mexique, certains dossiers continuent de poser problème. Le plus criant, du côté d'Ottawa : les conditions de travail médiocres des salariés mexicains.

Cet enjeu s'est manifesté de façon criante, hier, alors que General Motors a menacé de transférer une partie de sa production du Canada vers le Mexique. Or, l'administration Trudeau a souvent répété qu'elle exigerait une amélioration des conditions de travail - et des salaires - au Mexique avant de ratifier un nouvel accord commercial avec le pays.

Cet enjeu pourrait-il faire dérailler les pourparlers ? Justin Trudeau s'est dit optimiste, d'autant qu'il a abordé le sujet pendant sa rencontre avec Enrique Peña Nieto, à laquelle ont aussi participé la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland et le ministre du Commerce international François-Philippe Champagne. « J'ai été content de voir que le président prenait très au sérieux cette opportunité d'améliorer le sort de la classe moyenne dans son pays. »

M. Peña Nieto s'est de son côté engagé à améliorer le sort des travailleurs de son pays. « Le Mexique ne veut pas être concurrentiel en raison de ses bas salaires, il veut être concurrentiel parce qu'il a une main-d'oeuvre qualifiée et qu'il a la capacité d'être en mesure de concurrencer pour avoir accès aux chaînes de production dans l'ALENA, a-t-il affirmé. C'est ce qui donne le ton dans cette renégociation. »

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NÉGOCIATIONS DIFFICILES

La quatrième ronde de renégociation de l'ALENA, qui s'est mise en branle mercredi en banlieue de Washington, a pris une tournure encore plus difficile, hier. Les négociateurs américains ont déposé en soirée une demande qui pourrait venir torpiller la suite des pourparlers. Washington a exigé une clause de « résiliation » qui mettrait un terme à l'accord au bout de cinq ans, à moins que les trois pays ne la renouvellent. Selon une source canadienne proche des négociations, Ottawa s'attendait à ce qu'il y ait des propositions difficiles, « et c'est exactement ce qu'on est en train d'observer ». Justin Trudeau a pour sa part déclaré en soirée que « nous ne quitterons pas la table sur la base d'une proposition mise de l'avant ».

BRAS DE FER AUTOUR DE L'INDUSTRIE AUTOMOBILE

Le prochain coup dur pourrait être porté aujourd'hui. Les négociateurs américains devraient déposer leurs demandes au sujet du secteur automobile, considérées comme « non recevables » par le Mexique et le Canada. Washington souhaiterait imposer des quotas élevés de pièces nord-américaines - et surtout fabriquées aux États-Unis - pour permettre aux véhicules de transiter dans la zone de l'ALENA. Une telle mesure pourrait rendre la fabrication trop coûteuse en Amérique du Nord, craignent des acteurs de l'industrie. Le secrétaire au Commerce des États-Unis, Wilbur Ross, a estimé que les constructeurs allaient « s'adapter », rapporte La Presse canadienne.

TRUDEAU S'ADRESSERA AU SÉNAT MEXICAIN

Le premier ministre canadien conclura aujourd'hui sa visite au Mexique en prononçant une allocution devant le Sénat de la République, à l'invitation du président du Sénat, Ernesto Cordero. Cette invitation à s'adresser à la Chambre haute est considérée comme « le plus grand honneur accordé par le Congrès mexicain à des chefs d'État ou de gouvernement », souligne-t-on dans l'entourage du premier ministre. Justin Trudeau reviendra à Ottawa ce soir.