Le Canada se départira sous peu de sa réputation de cancre en matière de protection des sources journalistiques. Le projet de loi S-231 du sénateur conservateur Claude Carignan visant à protéger les sources des journalistes au pays devrait en effet obtenir la sanction royale cet automne, peut-être même d'ici la fin octobre, selon des informations obtenues par La Presse.

Adopté par le Sénat en avril, le projet de loi en question est actuellement à l'étape de la troisième lecture à la Chambre des communes. La dernière heure de débat prévue sur les tenants et aboutissants de ce projet de loi devrait avoir lieu vendredi. Les quelque 330 députés seront ensuite appelés à l'appuyer le mercredi 4 octobre.

Le Sénat sera par la suite à nouveau saisi du projet de loi le 17 octobre afin d'entériner les amendements somme toute mineurs qui ont été proposés par le gouvernement Trudeau.

Résultat : le gouverneur général pourrait donner la sanction royale à cette mesure législative dès la fin octobre si le gouvernement Trudeau le lui recommande. Il pourrait alors s'agir de l'une des premières lois sanctionnées par la nouvelle gouverneure générale Julie Payette, qui entrera officiellement en fonction le lundi 2 octobre.

Un retard en voie d'être rattrapé

Le Canada se trouvera à finalement emboîter le pas à la centaine d'autres pays dans le monde qui ont déjà promulgué une protection de la confidentialité des sources des journalistes par voie législative ou encore en l'inscrivant dans leur Constitution.

« En politique, il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, mais je suis d'un optimisme prudent », a confié à La Presse hier le sénateur Claude Carignan.

« Il faut dire que la liberté de la presse en a pris pour son rhume au cours des dernières années. L'adoption de la loi va probablement être le plus gros progrès de la liberté de presse depuis l'adoption de la Charte en 1982 », a-t-il poursuivi. 

Une fois en vigueur, le projet de loi S-231 aura pour effet de modifier la Loi sur la preuve au Canada en permettant à un journaliste de s'opposer à la divulgation d'un renseignement ou d'un document auprès d'un tribunal pour protéger une source journalistique qui risquerait ainsi d'être révélée. Il renversera donc le fardeau de la preuve puisqu'il incombera aux autorités policières de convaincre un juge de la Cour supérieure (et non plus un juge de paix) d'accorder des mandats de perquisition concernant un journaliste.

Les autorités policières devront d'ailleurs démontrer au tribunal que cette information ne peut « être mise en preuve par un autre moyen raisonnable » et que « l'intérêt public dans l'administration de la justice l'emporte sur l'intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique ».

Le sénateur Carignan a déposé son projet de loi au Sénat en novembre 2016 dans la foulée des révélations selon lesquelles le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la Sûreté du Québec ont mené des opérations de surveillance visant plusieurs journalistes au Québec, dont Patrick Lagacé de La Presse.

Protéger «les sonneurs d'alerte»

Le député conservateur de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell, qui a exercé le métier de journaliste pendant près de 20 ans avant de faire le saut en politique, a parrainé le projet de loi du sénateur Carignan à la Chambre des communes.

« Nous souhaitons l'adoption de ce projet de loi depuis longtemps. Tant mieux si cela s'est fait de bonne volonté de part et d'autre. C'est gagnant pour tout le monde. Tout le monde a été saisi par l'ampleur de la crise que cela a provoquée quand on a appris que des journalistes étaient épiés au Québec », a indiqué hier Gérard Deltell.

« Cette loi ne donne pas un chèque en blanc aux journalistes. Ils doivent faire leur travail selon les règles de l'art. On protège les sonneurs d'alerte, les sources des journalistes. On ne protège pas les journalistes », a-t-il ajouté.