Alors que la crise du fentanyl fait de plus en plus de ravages dans les provinces de l'Ouest et que ce fléau commence à se répandre aussi au Québec, les autorités canadiennes ont réussi à intercepter 20 533 grammes de cette puissante drogue dans une centaine de colis expédiés de l'étranger en 2016 seulement. À elle seule, cette quantité de fentanyl, évaluée à 5,8 millions de dollars sur le marché noir, aurait été suffisante pour produire 10,2 millions de doses fatales, a appris La Presse.

L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a commencé à saisir de plus en plus de colis contenant cette drogue à compter de 2016, selon des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Devant l'ampleur de la crise, le gouvernement Trudeau a décidé d'accorder de nouveaux pouvoirs aux agents de l'ASFC. Depuis l'adoption du projet de loi C-37 en mai, les agents ont maintenant le pouvoir d'ouvrir les articles de courrier pesant 30 grammes ou moins qui proviennent de l'étranger.

D'autres saisies en 2017

Selon les données fournies par l'ASFC, les agents ont déjà saisi 1544 g de fentanyl entre avril et juin cette année, dans une vingtaine de colis. (L'ASFC compile les données durant les exercices financiers, soit d'avril à mars.)

Avec les nouveaux pouvoirs accordés aux agents, d'aucuns s'attendent à ce que les saisies grimpent en flèche. Pour l'heure, cette drogue, qui est parfois mélangée à d'autres drogues comme l'héroïne et la cocaïne, arrive sur le marché canadien surtout par le système de courrier. Une quantité négligeable (moins de 2 g) a été interceptée à un aéroport ou à un poste douanier l'an dernier.

Des conséquences désastreuses

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, affirme que les autorités fédérales font de la lutte contre le trafic du fentanyl une priorité. «La crise du fentanyl a eu des conséquences dévastatrices sur bon nombre de familles et les communautés à travers le pays. Maintenant que le projet de loi C-37 a reçu la sanction royale, nous disposons de nouveaux outils pour nous attaquer à cette crise, notamment le pouvoir accordé aux agents des services frontaliers d'ouvrir des articles de courrier de 30 g ou moins qui proviennent de l'étranger. À titre d'exemple, un colis de 30 g pourrait contenir une quantité de fentanyl suffisante pour fabriquer jusqu'à 15 000 doses fatales», a indiqué Scott Bardsley, du bureau du ministre Goodale.

Vague de décès dans l'ouest

En 2016, près de 2500 personnes sont mortes à la suite d'une surdose attribuable au fentanyl au Canada. L'épicentre de cette crise demeure la Colombie-Britannique, où 914 personnes sont mortes après avoir consommé cette puissante drogue - soit presque le double des victimes en 2015 (510), selon un rapport du Service des coroners de la province.

Pis encore, depuis le début de l'année, on rapporte au moins un cas de mort par jour dans la ville de Vancouver seulement, ce qui a porté le maire Gregory Robertson à déclarer que cette crise était un véritable «bain de sang».

Le Québec ne sera pas épargné

En avril, le coroner Paul G. Dionne, qui s'est penché sur la mort d'un toxicomane de Gatineau, Louis Anctil, mort intoxiqué par un cocktail de drogues incluant le fentanyl en mars 2016, pressait le gouvernement du Québec d'accélérer ses préparatifs afin de combattre ce fléau.

«Ça s'en vient», avait déclaré à La Presse le coroner. M. Dionne avait soutenu qu'il fallait «tout de suite commencer à mettre de l'ordre dans nos affaires», invitant Québec à accélérer la mise sur pied d'un programme de surveillance devant l'augmentation des décès liés aux opioïdes, notamment au fentanyl, au Québec.

Des équipes canines spécialisées

Jugeant que l'augmentation du nombre de décès liés au fentanyl était devenue «une crise majeure», la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a décidé le mois dernier de former des équipes canines spécialisées dans la détection de l'opioïde à Innisfall, au sud de Red Deer, en Alberta.

La GRC a pris cette décision après qu'un projet pilote eut été couronné de succès en Colombie-Britannique, où les policiers ont pu saisir 12 000 comprimés de fentanyl dans une voiture circulant sur l'une des routes de la province grâce aux museaux des bergers allemands.

Le succès est tel que des corps policiers aux États-Unis et au Mexique ont manifesté l'intérêt d'emboîter le pas à la GRC.

Saisie record à Edmonton en juillet

Tous les corps policiers du pays sont aux aguets depuis que la crise du fentanyl fait des ravages dans certaines régions du pays. Le mois dernier, la police d'Edmonton a d'ailleurs annoncé avoir effectué une saisie record au pays de 130 000 comprimés de fentanyl et démantelé un laboratoire de production clandestin dans une résidence située dans le nord de la ville d'Edmonton.

La valeur de cette saisie sur le marché noir était estimée à 3,9 millions de dollars. Selon les policiers, le laboratoire clandestin avait une capacité de production de 10 000 comprimés par heure.

Des saisies évaluées à 2 milliards

Deux milliards de dollars : voilà la valeur totale des drogues de toutes sortes sur le marché noir qui ont été saisies par les autorités canadiennes dans les divers points d'entrée au pays au cours des cinq dernières années.

Le transport aérien demeure la voie la plus utilisée par les groupes sans scrupules qui tentent de faire entrer au Canada une panoplie de drogues comme la cocaïne, l'héroïne, la marijuana, la méthamphétamine ou le fentanyl, démontrent des documents de l'Agence des services frontaliers obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

- Avec William Leclerc, La Presse