Les trois familles qui ont hébergé le lanceur d'alerte Edward Snowden pendant sa fuite à Hong Kong en 2013 ont de «très sérieuses» raisons de craindre pour leur vie, puisqu'elles seront détenues incessamment, puis probablement expulsées, s'alarment leurs avocats montréalais. C'est pourquoi ceux-ci viennent de mettre en demeure le ministre fédéral de l'Immigration Ahmed Hussen de traiter d'urgence leur demande d'asile au Canada.

«Si le risque pour leur vie était sérieusement élevé le mois dernier, il est maintenant hors de proportion», s'inquiètent-ils dans une mise en demeure envoyée mercredi au ministre et obtenue par La Presse. Les avocats demandent au ministre d'accueillir au pays d'ici le 1er août ces sept réfugiés srilankais et philippins vivant à Hong Kong. Ceux-ci s'établiraient probablement à Montréal.

Si le ministre ne répond pas favorablement à cette demande aujourd'hui, les avocats entendent déposer une requête en mandamus en Cour fédérale, une procédure exceptionnelle, annonceront-ils aujourd'hui lors d'un point de presse à Ottawa. «C'est comme une injonction envers le gouvernement», explique l'avocat Marc-André Séguin du cabinet Exeo. Elle vise à obliger le Bureau canadien des visas à accélérer le traitement de demandes d'asile, déposées il y a trois mois.

Dans le collimateur de Hong Kong

En 2013, ces trois familles de réfugiés avaient caché pendant deux semaines l'ex-consultant de la NSA Edward Snowden, traqué par le gouvernement américain pour avoir volé des documents secrets, à la demande de Robert Tibbo, son avocat montréalais. C'est la sortie du film hollywoodien Snowden l'an dernier qui a mis au jour le rôle joué par ces bons Samaritains. Or, cette soudaine notoriété internationale a mis ces réfugiés dans le collimateur des autorités hongkongaises, qui ont rejeté leur demande d'asile le printemps dernier.

En mai, Edward Snowden lui-même avait exhorté l'opinion publique à accentuer la pression sur le ministre Hussen pour aider ces «bonnes personnes». «N'ayez pas peur d'appeler [le ministre]. Parce que si on attend, qu'on ne soit pas certain, on va tous se demander pourquoi nous n'en avons pas fait davantage», avait-il dit dans une vidéo.

Le gouvernement canadien doit agir dès maintenant, martèle Me Séguin, puisque dans les derniers jours, les Srilankais Ajith Pushpakumara, Supun Hilina Kellapatha, sa femme Nadeeka Dilrukshi Nonis et leurs deux enfants, ainsi que la Philippine Vanessa Mae Bondalian et sa fille ont été informés qu'ils devraient se rendre dans un centre de détention d'immigration au début du mois d'août, un prélude à leur expulsion. 

«Il y a de très fortes chances qu'on ne puisse plus les joindre. De plus, des organismes ont documenté des cas de violences, d'abus de pouvoir et de violations de droits fondamentaux dans ce centre de détention», dit Me Séguin.

«Ce sont des gens qui ont des raisons très sérieuses de craindre pour leur vie s'ils sont renvoyés dans leur pays», soutient l'avocat montréalais. Les quatre adultes du groupe s'étaient réfugiés à Hong Kong pour fuir de véritables histoires d'horreur. «Un a été torturé par l'armée srilankaise, un autre a été battu et laissé pour mort par des proches de politiciens locaux, une autre a été violée et extrêmement malmenée par des familles proches du pouvoir politique. Aux Philippines, une femme a été kidnappée, violée et même empalée», détaille Me Séguin.

Un «point d'ancrage»

Même si ces familles n'ont aucun lien avec le Canada, le gouvernement a le devoir de les accueillir au pays, à l'instar des réfugiés syriens, plaide l'avocat. «Le Canada a réitéré à plusieurs reprises son engagement en faveur des réfugiés. Il n'y a pas de meilleur endroit sur la planète pour protéger ces gens-là», dit-il. De plus, leur avocat à Hong Kong, le Québécois Robert Tibbo, est leur unique «point d'ancrage», ajoute-t-il. Et ici, au Québec, des gens sont déjà prêts à les accueillir. L'organisme montréalais For the Refugees, d'ailleurs présidé par Marc-André Séguin, a déposé une demande de parrainage privée. «Il y a une terre d'accueil ici, prête à les recevoir», assure l'avocat.

Le cabinet du ministre Hussen n'a pas rappelé La Presse en fin de semaine. Le ministère de l'Immigration n'a pas commenté le dossier pour des «raisons de protection des renseignements personnels».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Robert Tibbo.