Le lobbying explose ces jours-ci à Ottawa et les lobbyistes d'allégeance libérale peuvent se targuer d'avoir un meilleur accès aux hautes sphères du gouvernement, selon une analyse menée par La Presse.

Le registre fédéral du lobbying montre en effet que tant les inscriptions que les communications connaissent une forte hausse à l'heure actuelle. Et bien des lobbyistes reconnaissent eux-mêmes que les relations avec le gouvernement ont considérablement augmenté depuis que les libéraux ont repris le pouvoir.

Selon l'analyse des données brutes du registre fédéral menée par La Presse, le nombre de communications déclarées par des lobbyistes avec des représentants du gouvernement fédéral a ainsi presque doublé, passant d'une moyenne de 29 par jour sous le gouvernement Harper, à 53 sous le gouvernement Trudeau.

Des cinq lobbyistes-conseils qui ont déclaré avoir eu le plus grand nombre de communications avec le gouvernement depuis les dernières élections, quatre ont des liens avec les libéraux : deux étaient candidats pour le PLC au Québec ; un est le conjoint de la chef de cabinet de la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly ; un autre travaillait sur la tournée libérale lors de la dernière campagne. Un seul (Matthew Triemstra) a oeuvré au sein du gouvernement conservateur.

Il s'agit d'un renversement de tendance par rapport au gouvernement précédent : des cinq lobbyistes-conseils qui faisaient alors état du plus grand nombre d'activités, un seul était libéral. Les autres étaient plutôt d'allégeance conservatrice (souvent de l'ère Mulroney), sauf un : un ancien fonctionnaire lié à l'industrie pétrolière. On observe une situation semblable lorsqu'on analyse les allégeances des 20 lobbyistes qui ont déclaré le plus grand nombre de communications.

À noter que pour l'ère conservatrice, ces données ne remontent qu'à août 2008, lorsque l'obligation de déclarer ces communications est entrée en vigueur. Elles ne portent aussi que sur les lobbyistes-conseils, c'est-à-dire ceux qui agissent au nom de clients externes, sans en être des employés.

Le nombre de lobbyistes dont l'inscription est actif est lui aussi en hausse, soit 13 % de plus qu'en juillet de l'an dernier, 34 % de plus qu'il y a cinq ans et 85 % de plus qu'en août 2005. En revanche, le nombre d'inscriptions actives est comparable au niveau que l'on pouvait observer au 1er juillet 2007, soit environ un an et demi après l'arrivée au pouvoir des conservateurs, mais à la veille de l'entrée en vigueur de changements importants aux règles de lobbying apportés par le gouvernement Harper.

« BEAUCOUP PLUS DE LOBBYING »

Ainsi, pour tous les lobbyistes interrogés par La Presse, peu importe leur couleur politique, le verdict est unanime : « C'est clair qu'il y a beaucoup plus de lobbying qui se fait actuellement », lance Daniel Bernier, partenaire au sein de la firme Earnscliffe et ex-chef de cabinet de la conservatrice Rona Ambrose.

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

Bien des lobbyistes reconnaissent eux-mêmes que les relations avec le gouvernement ont considérablement augmenté depuis que les libéraux ont repris le pouvoir.

Dans les lettres de mandat remises à ses ministres, le premier ministre Trudeau les a d'ailleurs invités à entretenir de meilleures relations avec le public, « y compris les représentants des milieux d'affaires ».

« Tout le processus de consultation qu'ils font mène nécessairement à beaucoup plus d'accès aux lobbyistes et c'est un gouvernement qui est foncièrement ouvert à se faire solliciter », estime Daniel Bernier.

DES ÉCUEILS

Mais de tels changements ne se font pas sans heurts, et l'actualité en a fourni un bon exemple cette semaine. L'organisme Council of Canadian Innovators a fait miroiter à des membres potentiels issus du secteur des énergies propres une rencontre mensuelle avec le chef de cabinet de la ministre de l'Environnement. Les coûts d'adhésion à cet organisme sont de 10 000 $.

Le bureau de la ministre a rappelé l'organisme à l'ordre, mais le mal était fait. L'incident a rappelé la controverse de l'accès aux ministres et au premier ministre en échange de contributions politiques, qui a nui au Parti libéral au cours des derniers mois.

Cette fois-ci, de surcroît, des dirigeants du Council of Canadian Innovators sont proches des libéraux et le directeur général, Benjamin Bergen, ancien adjoint de la ministre des Affaires étrangères, a enregistré quelque 200 communications avec des membres du gouvernement ou des députés depuis les dernières élections.

Pour le député du NPD Alexandre Boulerice, cette situation illustre les risques que court le gouvernement Trudeau en entretenant de tels liens avec l'industrie du lobbying. « Avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement, ça fait partie d'un cycle normal qu'il y ait un plus grand nombre d'enregistrements des lobbyistes », dit d'emblée M. Boulerice.

Mais il s'inquiète d'un accès « à deux vitesses », où les plus nantis ont davantage l'oreille des décideurs politiques et où les intérêts des membres du « cercle d'amis et des intimes » passent avant ceux du reste de la population, dont les groupes sociaux.

Mais au bureau du premier ministre Justin Trudeau, on s'est défendu d'accorder un accès privilégié à certaines tranches de la population, et un porte-parole a souligné que ces rencontres respectaient les règles et la Loi sur le lobbying. « Le premier ministre rencontre régulièrement des intervenants et il est accessible aux Canadiens de partout au pays, a déclaré Cameron Ahmad. Il est toujours important pour notre gouvernement d'échanger directement avec des gens, des intervenants et des groupes différents. »

Selon les données du Commissariat au lobbying du Canada, la majorité des institutions ont connu une forte hausse des communications avec des lobbyistes au cours des dernières années, dont la Chambre des communes et le bureau du premier ministre.

COMMUNICATIONS DÉCLARÉES PAR LES LOBBYISTES

78 284 (29 par jour)

sous les conservateurs*

31 599 (53 par jour)

sous les libéraux