La promesse électorale de Justin Trudeau de rétablir la livraison du courrier à domicile s'avère plus «complexe» que prévu, soutient-on dans les rangs libéraux, ouvrant toute grande la porte à ce que cet engagement soit finalement renvoyé aux calendes grecques.

Après avoir reçu deux rapports sur l'avenir de Postes Canada et de la livraison du courrier à domicile, l'automne dernier, la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, Judy Foote, avait promis en janvier d'annoncer un nouveau plan pour la société de la Couronne ce printemps.

Or, Mme Foote a décidé de prendre congé de ses fonctions ministérielles pour des raisons familiales au début d'avril, et la session parlementaire a pris fin mercredi soir sans que le gouvernement Trudeau annonce ses couleurs au sujet du rétablissement de la livraison du courrier à domicile. En l'absence de Mme Foote, c'est le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, qui s'occupe de son ministère.

Dans les rangs libéraux, on soutient que ce dossier est nettement « plus complexe » que ce que l'on avait estimé lorsque cette promesse a été faite en pleine campagne électorale. « Les analyses se poursuivent. Il y a beaucoup de choses à analyser qui sont complexes. Nous avons effectivement pris des engagements électoraux.

« Comme tous les autres engagements électoraux, nous redoublons d'ardeur pour le respecter. Est-ce que ce sera possible ? C'est une situation très complexe, et il n'y a pas de solution magique», explique une source libérale.

Cette source, qui s'exprimait sous le couvert de l'anonymat, a indiqué que l'absence de Mme Foote a aussi quelque peu chamboulé le calendrier et qu'une annonce sera « peut-être » faite à l'automne au plus tôt.

La possibilité de voir les libéraux renier cette promesse a déjà soulevé les railleries des partis de l'opposition, en particulier le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui s'était aussi engagé à maintenir la livraison du courrier à domicile durant les dernières élections.

« Les libéraux doivent penser que puisqu'ils n'ont obtenu que 40 % des votes, c'est correct s'ils ne respectent que 40 % de leurs engagements», a laissé savoir Thomas Mulcair, mercredi, en faisant le bilan de la dernière session parlementaire.

En campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis d'infirmer la décision de Postes Canada d'abolir graduellement la livraison du courrier à domicile - une démarche entreprise en 2013 et qui devait se terminer en 2018 - et d'installer des boîtes postales communautaires à la place. « Je fais front commun avec Justin Trudeau sur le maintien du service de livraison de courrier à domicile », pouvait-on d'ailleurs lire sur le site internet du Parti libéral durant la campagne.

Mais jusqu'ici, le gouvernement Trudeau s'est borné à imposer un moratoire sur l'installation des boîtes postales communautaires et il a commandé deux rapports pour lui proposer des pistes de solution.

Pertes de 1 milliard

Les dirigeants de Postes Canada avaient décidé d'abolir graduellement la livraison du courrier à domicile afin d'assurer la rentabilité de la société d'État, qui a vu le volume de lettres chuter de manière importante au cours des dernières années en raison de l'arrivée de l'internet. Une étude du Conference Board estimait que Postes Canada pourrait encaisser des pertes pouvant atteindre 1 milliard de dollars en 2020, si rien n'était fait pour réduire ses frais d'exploitation.

Dans son rapport final remis à la ministre Foote en septembre, un groupe de travail présidé par l'ancienne présidente du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Françoise Bertrand, a proposé d'imposer des frais aux Canadiens pour maintenir le service postal à domicile. Ces frais pourraient varier de 88 $ par adresse pour les gens qui bénéficient toujours de la livraison à domicile à 124 $ par adresse si Postes Canada devait ramener la livraison à domicile pour tous.

1,2 milliard : Coût de la facture pour restaurer le service complet de livraison à domicile du courrier à travers le pays, selon le groupe de travail présidé par Françoise Bertrand

Le groupe de travail estimait à 1,2 milliard la facture pour restaurer le service complet à domicile à travers le pays.

Le groupe de travail a aussi proposé d'autres options pour assurer la viabilité de Postes Canada, dont une hausse de 15 cents du prix de base d'un timbre, la fermeture de bureaux de poste ruraux et la livraison du courrier une ou deux fois par semaine.

Trois mois plus tard, un comité des Communes a produit un rapport dans lequel il recommandait que Postes Canada rétablisse la livraison du courrier à domicile là où elle l'avait interrompue depuis un an, et qu'elle maintienne son moratoire sur la conversion aux boîtes postales communautaires.

Le comité des opérations gouvernementales, composé majoritairement de députés libéraux, évoquait aussi l'idée d'élargir le mandat de Postes Canada afin que la société de la Couronne soit chargée de fournir aux régions rurales une « infrastructure essentielle de communication numérique ».

LA LIVRAISON DU COURRIER EN SIX DATES

• 2013 :  Pour assurer sa rentabilité à long terme, Postes Canada commence à abolir la livraison du courrier à domicile et à installer des boîtes postales communautaires. Cette opération doit s'étirer sur cinq ans et prendre fin en 2018.

• 13 août 2015 :  Excédé par le comportement « sauvage » de Postes Canada dans l'implantation de ses boîtes postales communautaires, le maire de Montréal Denis Coderre utilise un marteau-piqueur pour détruire une installation de la société de la Couronne dans un parc de Pierrefonds. « La bullshit, c'est assez ! », a-t-il notamment déclaré devant les caméras.

• 3 septembre 2015 :  En pleine campagne électorale, Justin Trudeau rencontre le maire Denis Coderre à l'hôtel de ville de Montréal afin de discuter des promesses des libéraux pour la métropole. Au terme de cette rencontre, Justin Trudeau s'engage à restaurer la livraison du courrier à domicile. « Au niveau de Postes Canada, nous nous engageons à rétablir le courrier à domicile, les gens s'attendent à un certain service et nous allons leur livrer », soutient-il.

• 12 septembre 2016 :  Un groupe de travail mis sur pied par la ministre Judy Foote propose d'imposer des frais aux Canadiens pour maintenir le service postal à domicile. Ces frais pourraient varier de 88 $ par adresse pour les gens qui bénéficient toujours de la livraison à domicile à 124 $ par adresse si Postes Canada devait ramener la livraison à domicile pour tous.

• 13 décembre 2016 :  Un comité parlementaire recommande que Postes Canada rétablisse la livraison du courrier à domicile là où elle l'avait interrompue depuis un an et qu'elle maintienne son moratoire sur la conversion aux boîtes postales communautaires.

• 31 janvier 2017 :  La ministre Judy Foote promet d'annoncer un nouveau plan pour Postes Canada au printemps. Mais en avril, elle doit prendre congé de ses fonctions de ministre pour des raisons familiales. Aucun plan n'est annoncé avant la fin de la session parlementaire, le 21 juin. Une source libérale confie à La Presse que ce dossier s'avère « plus complexe » que prévu.