Le gouvernement Trudeau entend appuyer le projet de loi du sénateur conservateur Claude Carignan visant à assurer une protection accrue des sources journalistiques, a appris La Presse. Ce faisant, le Canada emboîtera finalement le pas à la centaine d'autres pays dans le monde qui ont déjà promulgué une protection de la confidentialité des sources des journalistes par voie législative ou encore en l'inscrivant dans leur Constitution.

Le secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, Marco Mendicino, doit confirmer la décision du gouvernement Trudeau dans un discours à la Chambre des communes demain, selon nos informations. M. Mendicino indiquera alors qu'une poignée d'amendements techniques visant à préciser certaines dispositions du projet de loi S-231 seront aussi proposés.

Ces amendements ne seront pas de nature à affaiblir le projet de loi en question, mais viseront à s'assurer qu'un journaliste qui ferait l'objet d'une enquête criminelle ne puisse avoir recours aux mesures prévues par cette loi pour miner ladite enquête, surtout si elle concerne la sécurité nationale, a-t-on indiqué hier.

Le projet de loi du sénateur Carignan a été adopté par le Sénat en avril et il est actuellement à l'étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes. Le député conservateur Gérard Deltell, ancien journaliste, s'est chargé de parrainer le projet de loi aux Communes, où il avait déjà l'appui de tous les partis de l'opposition.

« Nous croyons au principe de la liberté de la presse. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à adopter de nouvelles mesures pour renforcer cette liberté », a indiqué à La Presse une source libérale, qui s'exprimait sous le couvert de l'anonymat.

FARDEAU DE LA PREUVE RENVERSÉ

Essentiellement, le projet de loi S-231 aura pour effet de modifier la Loi sur la preuve au Canada en permettant à un journaliste de s'opposer à la divulgation d'un renseignement ou d'un document auprès d'un tribunal pour protéger une source journalistique qui risquerait ainsi d'être révélée. Il renversera donc le fardeau de la preuve puisqu'il incombera aux autorités policières de convaincre un juge de la Cour supérieure (et non plus un juge de paix) d'accorder des mandats de perquisition concernant un journaliste.

Les autorités policières devront démontrer au tribunal que cette information ne peut « être mise en preuve par un autre moyen raisonnable » et que « l'intérêt public dans l'administration de la justice l'emporte sur l'intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique ».

Le sénateur Carignan a déposé son projet de loi au Sénat en novembre dernier dans la foulée des révélations selon lesquelles le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la Sûreté du Québec ont mené des opérations de surveillance visant plusieurs journalistes au Québec, dont Patrick Lagacé de La Presse.

Les amendements que proposera le gouvernement Trudeau à la Chambre des communes devront aussi être adoptés par le Sénat avant que le projet de loi n'obtienne la sanction royale. Cela ne devrait être qu'une formalité, a-t-on indiqué hier. Cela pourrait toutefois rendre impossible l'adoption du projet de loi avant la fin de la session parlementaire, prévue au plus tard le 23 juin, compte tenu du menu législatif chargé.

Joint hier, le sénateur conservateur Claude Carignan a exprimé sa satisfaction de voir que le gouvernement comptait l'appuyer.

Photo Fred Chartrand, La Presse canadienne 

Le gouvernement Trudeau entend appuyer le projet de loi du sénateur conservateur Claude Carignan visant à assurer une protection accrue des sources journalistiques, a appris La Presse.

« On parle du droit à l'information, de la protection de la liberté de presse, de la protection des sources, avec l'objectif de protéger les sonneurs d'alerte qui voudraient dénoncer des comportements déviants de gens qui gèrent les fonds publics », a soutenu M. Carignan.

Selon M. Carignan, le gouvernement doit mettre les bouchées doubles pour adopter le projet de loi avant la pause estivale. « Malgré les amendements techniques qui seront apportés, il n'y a aucune raison pour laquelle on doit attendre après la pause de l'été pour adopter le projet de loi. Le Sénat est unanime sur l'importance de ce projet de loi. S'il y a unanimité du côté de la Chambre, il n'y a aucune raison de retarder le tout », a ajouté M. Carignan.

MOINS DE SONNEURS D'ALARME

Témoignant devant un comité du Sénat, en février, des membres de la Coalition des médias canadiens avaient soutenu que les activités de surveillance menées par des corps policiers aux dépens de journalistes au Québec avaient eu un effet immédiat dans l'ensemble du pays, soulignant que les sonneurs d'alerte qui ont permis aux médias d'exposer la corruption et les malversations dans le passé se faisaient plus rares et plus discrets.

L'éditeur adjoint et vice-président à l'information de La Presse, Éric Trottier, s'est dit satisfait de voir que le Canada s'apprête à se doter d'une telle loi.

« En adoptant ce projet de loi, le Canada passe du statut de cancre à celui de leader mondial en matière de protection des sources journalistiques. Nous nous réjouissons de cette belle victoire pour la liberté de presse », a dit M. Trottier.

Il a aussi tenu à saluer le travail du sénateur Claude Carignan.

« Chapeau au sénateur Carignan qui a piloté ce dossier avec célérité et chapeau aussi aux autres partis d'avoir fait évoluer le projet de loi au nom de l'intérêt public, sans partisanerie », a-t-il ajouté.