Des relations militaires plus étroites et plus robustes entre le Canada et les États-Unis représentent la meilleure recette pour assurer la bonne entente entre le gouvernement Trudeau et l'administration de Donald Trump.

C'est l'avis qu'ont formulé les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères à la chef de diplomatie canadienne Chrystia Freeland avant qu'elle ne se rende à Washington afin d'assister à la cérémonie d'investiture du président Donald Trump, le 20 janvier dernier.

«Une solide relation dans le domaine de la défense entre le Canada et les États-Unis demeurera au coeur de l'approche canadienne et la nouvelle politique de défense du Canada jettera les bases du dialogue avec l'administration Trump», peut-on lire dans les notes d'information rédigées à l'intention de la ministre Chrystia Freeland. La Presse a obtenu ces notes en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Depuis l'arrivée au pouvoir du président Trump, le premier ministre Justin Trudeau semble avoir tenu compte de ce conseil en confiant notamment au député d'Orléans Andrew Leslie, un ancien haut commandant des Forces armées canadiennes, le poste de secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères, avec comme responsabilités précises de nouer des liens avec la nouvelle administration américaine.

Il a aussi nommé le ministre des Transports Marc Garneau, ancien astronaute qui a séjourné quelques années à Houston, aux États-Unis, à la présidence du comité du cabinet chargé des relations canado-américaines.

Une «priorité»

«Les États-Unis représentent le plus important partenaire du Canada en matière de sécurité et de défense. [...] Le président Trump a fait de la remise en état des forces armées sa priorité (forces terrestres, navales et aériennes), ainsi que l'amélioration de la cyberdéfense et le développement d'un bouclier antimissile à la fine pointe de la technologie», peut-on également lire dans les documents remis à la ministre Freeland.

En campagne électorale, et depuis son arrivée au pouvoir, le président Donald Trump a souvent critiqué les pays membres de l'OTAN qui ne paient pas leur juste part en matière de défense. Les membres de cette alliance militaire se sont engagés à dépenser l'équivalent de 2% de leur produit intérieur brut pour la défense. Mais seulement cinq des 28 membres le font (États-Unis, Grande-Bretagne, Pologne, Grèce et Estonie).

Vers une hausse des dépenses militaires

Le ministre de la Défense Harjit Sajjan doit dévoiler aujourd'hui à Ottawa la nouvelle politique du Canada en matière de défense après plusieurs mois de consultations. Dans un long discours prononcé hier à la Chambre des communes afin de préciser la politique étrangère du Canada à l'heure du Brexit et de la nouvelle administration à Washington, la ministre Chrystia Freeland a affirmé que le gouvernement Trudeau a la ferme intention d'augmenter les dépenses militaires.

«Nous allons faire les investissements nécessaires dans notre armée, non seulement pour rattraper les années de négligence et de sous-financement, mais aussi pour permettre aux Forces armées canadiennes de repartir sur une nouvelle base, avec le matériel, la formation, les ressources et le financement constant et prévisible dont elles ont besoin pour accomplir leur travail difficile, dangereux et important. [...] Pour le Canada, il y a une raison très claire d'investir dans une armée efficace, professionnelle et solide : si les puissances moyennes ne participent pas pour faire progresser la paix et la stabilité dans le monde, elles laissent aux grandes puissances le pouvoir de prendre les décisions entre elles, ce qui ne serait pas dans l'intérêt du Canada», a-t-elle affirmé.

Dans ce même discours, la ministre Freeland a aussi dressé un constat brutal : le Canada ne peut plus compter sur les États-Unis pour jouer le rôle de chef de file mondial. Résultat : le Canada doit plus que jamais tracer sa propre voie en misant fermement sur le renforcement des institutions multilatérales telles que l'ONU, l'OTAN, le G7 ou le G20, entre autres.

Selon Chrystia Freeland, le Canada doit prendre note «que [son] ami et allié met en doute la valeur de son leadership mondial» et doit donc «établir clairement» sa «propre orientation souverainiste».

Mme Freeland a ainsi fait écho aux propos tenus la semaine dernière par la chancelière allemande Angela Merkel à l'issue des sommets de l'OTAN et du G7. Elle avait alors affirmé que l'Europe devait devenir un «acteur qui s'engage à l'international», notamment en raison de l'évolution de la politique américaine, ajoutant que l'époque où «nous pouvions compter les uns sur les autres» était «quasiment révolue».

Pour Mme Freeland, il est évident que les Américains, en confiant la Maison-Blanche à Donald Trump lors de la dernière élection présidentielle, ont voté pour se libérer du «fardeau de chef de file mondial». «Je ne dis pas cela pour soulever la controverse. C'est un fait», a-t-elle dit. Cela a des conséquences : le président Turmp a remis en cause l'OTAN, les avantages de l'Accord de libre-échange nord-américain et les liens étroits que les États-Unis ont entretenus depuis des décennies avec l'Europe.

«Tracer la voie à suivre»

«Des relations internationales qui semblaient immuables depuis les 70 dernières années sont maintenant remises en question. [...] L'abandon de nos responsabilités n'est pas une option. Nous devons plutôt réfléchir soigneusement et longuement sur ce qui se passe et tracer la voie à suivre», a dit la ministre.

Dans son discours, la ministre a tenu à remercier les États-Unis pour le rôle crucial qu'ils ont joué dans l'établissement de l'ordre mondial depuis la Seconde Guerre mondiale. Mme Freeland a aussi fait un vibrant plaidoyer pour la libéralisation des échanges et dénoncé la tentation du protectionnisme. «Pour le Canada, le libre-échange constitue un autre avantage important d'un système international fondé sur des règles.»

- Avec William Leclerc, La Presse