Nigel Wright n'a jamais été embêté par la justice dans le scandale Mike Duffy, mais l'ancien chef de cabinet de Stephen Harper est sévèrement critiqué par la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique.

Dans un rapport très attendu, la commissaire Mary Dawson a conclu jeudi que Nigel Wright avait violé non seulement la Loi fédérale sur les conflits d'intérêts, mais aussi la Loi sur le Parlement, lorsqu'il a voulu aider M. Duffy à rembourser les frais de logement qu'il avait réclamés au Sénat - ce qui impliquait que le sénateur admette ses torts.

Mme Dawson affirme que Nigel Wright n'aurait pas dû demander au président du Fonds conservateur du Canada s'il pouvait couvrir les réclamations d'indemnités de logement du sénateur Duffy. La commissaire estime que lorsque M. Wright a demandé cette aide financière au grand argentier du parti, le sénateur Irving Gerstein, il a utilisé sa fonction au cabinet du premier ministre pour favoriser l'intérêt financier du sénateur Duffy, contrevenant ainsi aux règles d'éthique.

Ce stratagème ne lui a finalement pas permis d'obtenir les fonds nécessaires pour balayer l'affaire sous le tapis, de sorte que M. Wright a lui-même versé 90 000 $ de sa poche pour que le sénateur rembourse ses dépenses.

À l'issue de l'enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur l'affaire Duffy, Nigel Wright n'a jamais été accusé de malversations. Or, selon Mme Dawson, «le fait que M. Wright ait versé de l'argent au sénateur Duffy, en assortissant le versement de conditions et malgré l'opposition persistante du sénateur Duffy, était suffisamment grave pour que le dépôt d'accusations de rémunération interdite en vertu de la Loi sur le Parlement soit envisagé à l'encontre de M. Wright».

«Même si aucune démarche n'a été poursuivie concernant la question de l'illégalité du geste posé par M. Wright, je qualifierais certainement ce geste d'irrégulier», conclut Mme Dawson.

Deuxième loi violée

Par ailleurs, la commissaire est d'avis «qu'en offrant de l'argent au sénateur Duffy en contrepartie de son engagement de se conformer aux conditions énumérées dans l'entente, M. Wright a favorisé de façon irrégulière les intérêts personnels du sénateur Duffy au sens de l'article 4 de la Loi sur les conflits d'intérêts».

«M. Wright savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'il était en situation de conflit d'intérêts dans cette affaire», conclut encore Mme Dawson.

Un juge de l'Ontario a acquitté M. Duffy des 31 chefs d'accusation qui pesaient contre lui, au printemps 2016; M. Wright avait témoigné pour la Couronne à ce procès. Des observateurs se sont demandé à l'époque pourquoi M. Wright n'était pas accusé pour avoir offert un pot-de-vin à M. Duffy alors que le sénateur était accusé de l'avoir accepté. Certains spécialistes du droit parlementaire ont soutenu que M. Wright aurait dû à tout le moins être accusé en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada.

L'article 16 de cette loi prévoit que «quiconque donne, offre ou promet à un sénateur une rémunération pour des services (...) relativement à quelque projet de loi, délibération, marché, réclamation, dispute, accusation, arrestation ou autre affaire devant le Sénat ou la Chambre des communes (...) commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal d'un an et une amende de 500 $ à 2000 $».

Or, Mme Dawson croit effectivement que le «geste irrégulier» de M. Wright dans cette affaire «était suffisamment grave» pour que la GRC envisage de porter une accusation.

Le député néo-démocrate Charlie Angus, qui exigeait des explications de la GRC à ce sujet, s'est réjoui des conclusions de Mme Dawson. «Lorsque l'on reviendra sur cette affaire dans les années à venir, on se demandera toujours pourquoi la GRC a fermé les yeux sur la loi qui, de façon on ne peut plus explicite, décrit le crime commis dans le cabinet du premier ministre», a-t-il soutenu jeudi, en parlant de la Loi sur le Parlement.

Opprobre populaire

La commissaire ne peut imposer de sanctions à un titulaire d'une charge publique qui viole la Loi sur les conflits d'intérêts, mis à part l'opprobre jeté par son rapport public. M. Angus s'inquiète moins pour M. Wright que pour la démocratie: «Je crois plutôt (que le rapport) rendra les Canadiens encore plus cyniques face au processus politique».

Duff Conacher, cofondateur de Démocratie sous surveillance, laisse tomber: «trop peu, trop tard». L'organisme songe par ailleurs à intenter une poursuite criminelle privée contre M. Wright.

Le riche homme d'affaires avait quitté son poste d'éminence grise de Stephen Harper lorsque son chèque de 90 000 $ a été mis au jour dans les médias. Au cours des mois suivants, il a toujours clamé son innocence, plaidant qu'il n'avait voulu qu'épargner aux contribuables le fardeau de rembourser les dépenses du sénateur Duffy.

Mme Dawson avait amorcé son enquête sur le rôle de Nigel Wright en mai 2013, mais l'avait suspendue un mois plus tard lorsque la GRC a ouvert sa propre enquête criminelle dans le scandale Duffy. La commissaire aux conflits d'intérêts a repris son enquête après l'acquittement de M. Duffy au printemps dernier.

Toute l'affaire a commencé lorsque M. Duffy a réclamé au Sénat des frais de résidence secondaire à Ottawa, alors que cet ancien courriériste parlementaire possédait déjà une maison dans la capitale depuis des années. Il soutenait alors que sa résidence principale était sa petite maison de l'Île-du-Prince-Édouard, et qu'il avait donc droit à des frais de résidence secondaire pour siéger à Ottawa.