Le président Donald Trump s'apprêtait à décréter le retrait unilatéral des États-Unis de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), il y a 10 jours. Les forces pro-ALENA aux États-Unis se sont réveillées. La Presse a interviewé l'ex-diplomate Colin Robertson, membre du cabinet Dentons et ex-négociateur du Canada pour l'Accord de libre-échange canado-américain et l'ALENA, pour faire le point sur la stratégie canadienne jusqu'à maintenant.

M. Trump a dit qu'il avait changé d'idée au sujet de sa sortie de l'ALENA après avoir parlé à M. Trudeau et au président mexicain Enrique Peña Nieto. On entend aussi les provinces se féliciter de leur action, entre autres en ce qui concerne le sauvetage du programme de restauration des Grands Lacs dans le budget fédéral. L'action canadienne aux États-Unis est-elle vraiment efficace ?

Comme on dit, la victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline ! Pour ce qui est du budget et des Grands Lacs, c'est le processus politique américain qui est en marche. Et dans ce processus, le projet de budget du président n'est qu'un coup d'envoi. C'est comme une machine à saucisses : quand ça sort à l'autre bout, c'est méconnaissable. Et l'autre bout, c'est le Congrès, où il y a un fort appui des deux partis au programme des Grands Lacs.

Pour la menace de retrait de l'ALENA, ma compréhension, c'est que c'est la même chose : les réactions au Congrès et aussi celles des membres de l'administration ont influencé M. Trump. Mais cela ne veut pas dire que l'action du Canada et des provinces ne sert à rien. Elle a un effet. Quand on soulève les enjeux, on trouve des gens qui pensent comme nous. Et il faut se déployer partout, à tous les niveaux, c'est comme ça que le système politique américain fonctionne. Il faut toujours être dans leur champ de vision, dans tous leurs centres décisionnels.

Quels enjeux pourraient inciter le Canada à faire des gains dans la renégociation de l'ALENA ?

Je crois que c'est l'accès aux contrats publics. M. Trump, quand il en aura fini avec les soins de santé, voudra bientôt mettre en branle son programme d'infrastructures. Il a promis 1000 milliards d'investissements, peut-être qu'il en aura moins, 600 ou 700 milliards. Mais il faut se rappeler le programme de 500 milliards du président Obama en 2010. À l'époque, les provinces et les États américains avaient signé une entente de réciprocité pour l'accès aux marchés publics. Parce qu'il faut comprendre que la plus grande part des budgets fédéraux d'infrastructures passent en fait par les États.

Et ce sera intéressant pour les entreprises comme Hydro-Québec, parce que l'administration Trump envisage d'investir dans le réseau électrique. Mais il faudra la réciprocité, il faudra ouvrir Hydro-Québec aux fournisseurs américains. C'est un enjeu qui concerne aussi l'Ontario, qui avait restreint plusieurs secteurs à la réciprocité en 2010.

Il y a bien un moment où le premier ministre Trudeau devra hausser le ton...

Cela dépend beaucoup de ce que fera Trump. Il y aura un moment où le public canadien trouvera qu'on se fait rouler par les États-Unis. À ce moment, la pression politique se fera sentir sur lui, à travers son caucus ou dans les sondages. Mais en attendant, la stratégie est bonne.