Les relations sino-canadiennes ont fait plusieurs vagues mardi à Ottawa, alors que le gouvernement fédéral a donné son feu vert à une transaction controversée visant l'acquisition de la firme montréalaise ITF Technologies par un groupe chinois. En parallèle, Pékin a sommé Ottawa de ne pas imiter l'Australie, qui a mis au rancart un traité d'extradition prévu entre les deux pays.

L'achat d'ITF par le groupe hongkongais O-Net Communications, d'abord annoncé en 2014, a connu un sérieux revers l'année suivante. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait alors décidé de bloquer la transaction, estimant que l'acquisition de cette entreprise spécialisée en technologie laser à fibre pouvait représenter un risque pour la sécurité nationale du Canada. 

Tony Clement, porte-parole conservateur en matière de sécurité publique, estime que ce changement de cap «est la preuve que le gouvernement libéral est prêt à sacrifier la sécurité nationale pour plaire au régime de Pékin». Des organismes de sécurité nationale - dont le Service canadien du renseignement de sécurité - ont jugé en 2015 que l'acquisition d'ITF par O-Net «minerait un avantage technologique que les forces armées occidentales ont sur la Chine», a-t-il rappelé mardi.

«Nous avons maintenant la preuve que le premier ministre veut faire passer les intérêts de la Chine avant ceux du Canada, a affirmé Tony Clement dans un communiqué. Il n'écoute pas les conseils de nos organismes de sécurité et écarte la menace pour la sécurité nationale du Canada dans sa recherche continue des investissements chinois.»

Ottawa se défend

Navdeep Bains, ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, n'était pas disponible pour parler à La Presse, mardi. Son attaché de presse, Karl Sasseville, a toutefois défendu la décision du gouvernement dans ce dossier.

«Dans le cas qui nous concerne, je peux vous confirmer que, conformément aux exigences de la Loi sur les investissements, et suite à une analyse de sécurité rigoureuse, il a été ordonné que des mesures soient prises afin de protéger la sécurité nationale, a-t-il avancé. Notre gouvernement a agi en se basant sur l'ensemble des faits et des conseils qui lui ont été fournis par ses experts en sécurité et cela, dans le plus grand respect de nos lois.» 

Cette histoire survient quelques jours après la publication d'une entrevue avec le nouvel ambassadeur de Chine au Canada, Lu Shaye, dans le Globe and Mail. Dans cet entretien, l'ambassadeur a exprimé le désir que les sociétés d'État chinoises - qui dominent l'économie du géant asiatique - aient un accès sans compromis à tous les secteurs-clés de l'économie canadienne, incluant les sables bitumineux albertains. 

L'ambassadeur de Chine s'est peut-être emballé trop vite, a fait valoir une source au ministère du Commerce international. Des «discussions exploratoires» ont eu lieu le mois dernier en Chine au sujet du libre-échange, et une nouvelle rencontre est prévue le mois prochain au Canada, mais rien n'est encore joué. 

«On est loin de dire exactement quels secteurs seront visés, et on n'est même pas encore certain d'en faire un accord de libre-échange, a expliqué cette source. On n'a même pas commencé les négociations encore, ça peut prendre des années.»

Le bureau de Lu Shaye n'a pas répondu aux demandes d'entrevue de La Presse.

Extradition

La mise au rancart d'un projet de traité d'extradition avec la Chine, mardi matin en Australie, a par ailleurs rebondi jusqu'à Ottawa. Le Canada et la Chine négocient eux aussi un éventuel accord, et une porte-parole des Affaires étrangères chinoises a déclaré au Globe and Mail qu'un tel traité serait mutuellement bénéfique et mérite toujours une «sérieuse considération» du Canada.

Sans réagir aux commentaires de Pékin, Ian McLeod, porte-parole au ministère de la Justice du Canada, a fait valoir à La Presse que le Canada a des normes «extrêmement élevées» en matière de traités d'extradition. «Nous avons établi avec la Chine un dialogue sur la sécurité nationale et la primauté du droit qui nous permet de soulever des questions difficiles et de souligner le fait que les attentes du Canada en matière de primauté du droit sont très élevées.»

PC

Navdeep Bains