Les accusations d'islamophobie ont fusé en Chambre, jeudi, alors que libéraux et conservateurs se disputaient le titre de champion de la lutte contre la discrimination religieuse dans un débat qualifié de «lamentable» et de «décourageant» par certains députés.

Les élus des Communes ont repris là où ils avaient laissé la veille, c'est-à-dire en débattant d'une motion contre la discrimination religieuse. En revanche, cette fois, les échanges portaient sur une motion conservatrice qui a été déposée en réaction à celle - libérale - discutée mercredi.

Rapidement, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a signalé que le gouvernement libéral ne pouvait appuyer la motion concoctée par l'opposition officielle, car celle-ci «banalise» l'islamophobie en évacuant le terme de son libellé.

«Ce n'est pas parce qu'on ne nomme pas les choses qu'elles n'existent pas. On a un vrai problème, et c'est l'islamophobie. Pourtant, les conservateurs veulent trouver une solution sans parler du problème, sans l'identifier, et de ce fait, contribuent au problème», a-t-elle dit.

«Notre gouvernement reconnaît que l'islamophobie existe. Et c'est la première étape dans la lutte contre la haine et la peur dirigée vers cette communauté», a exposé la ministre après avoir cité une série d'actes islamophobes qui ont été récemment perpétrés au Canada.

La tuerie survenue il y a deux semaines dans une mosquée de Sainte-Foy a maintes fois été mentionnée pendant les échanges parfois acrimonieux entre élus; l'évocation du drame a d'ailleurs mené à une prise de bec entre un élu libéral et le conservateur Gérard Deltell.

«Il est un invité régulier des émissions parlées de la radio de Québec. A-t-il réfléchi aux mots qu'il a employés ces dernières années? A-t-il accepté une part de responsabilité pour le type de rhétorique qu'on entendait là?», a balancé Omar Alghabra au député de Louis-Saint-Laurent.

Le commentaire a été fort mal reçu par Gérard Deltell, qui s'est insurgé face à cette «question qui est très tendancieuse» en provenance de l'autre côté de la Chambre.

«Monsieur le président, le député est sur une glace très mince. Très, très mince. J'aimerais porter à son attention que jusqu'à présent, concernant l'individu qui est suspect, tout a été démontré qu'il n'avait strictement aucun lien avec les émissions de radio dont il parle», a répliqué le député conservateur.

La querelle partisane autour de l'enjeu de la stigmatisation des musulmans et l'échange incessant d'accusations entre les camps libéral et conservateur a exaspéré la chef du Parti vert, Elizabeth May, qui s'est levée en Chambre pour qualifier le débat de «lamentable».

«On assiste à un non-débat alors que nous devrions unir nos voix dans cette Chambre contre la haine; nous devrions dire clairement à la communauté musulmane: «Vous êtes protégés dans ce pays à un moment où ailleurs, les voix de l'intolérance s'élèvent contre vous'», a-t-elle dit.

Sa collègue néo-démocrate Jenny Kwan a abondé dans le même sens. «C'est tellement décourageant pour moi de constater la façon dont le débat se déroule», s'est-elle exclamée en signalant au passage que son parti comptait voter en faveur des deux motions.

La députée britanno-colombienne a exhorté les libéraux et les conservateurs à s'unir pour «trouver une solution afin que (les députés) parlent d'une seule voix, d'une voix forte, pour dire que la discrimination et la haine» ne sont «pas tolérées» au Canada.

La motion M-103 a été déposée en décembre dernier par la députée libérale d'arrière-ban Iqra Khalid en même temps qu'une pétition signée par quelque 70 000 personnes réclamant des élus de la Chambre qu'ils condamnent «toutes les formes d'islamophobie».

Les conservateurs qui s'y opposent la jugent insuffisamment «inclusive» - la mouture libérale parle seulement d'islamophobie; la conservatrice condamne la discrimination «des musulmans, des juifs, des chrétiens, des sikhs, des hindous et des autres communautés religieuses».

De tous les candidats à la chefferie conservatrice, seul Michael Chong appuie la motion libérale. Mercredi soir, quatre de ses rivaux ont participé à une soirée anti-M-103 organisée par le média de droite The Rebel, où ils ont exprimé des inquiétudes concernant la liberté d'expression, entre autres.

Parmi eux se trouvaient Kellie Leitch, qui a gazouillé son opposition à la motion en publiant la photo d'une femme avec, en image d'arrière-plan, une photo prise le jour de la fusillade au parlement d'Ottawa, en octobre 2014, avec un lien vers une pétition.

Cette récupération de «mauvais goût» a été vigoureusement critiquée par la ministre Joly, qui a jugé «ahurissant de constater que des députés de cette Chambre, des députés qui veulent diriger un parti politique, essaient de miser sur la peur et la division pour leur propre bénéfice».

Et en arrivant avec une nouvelle motion, les conservateurs cherchent tout simplement à «affaiblir, vider de son sens» celle de la députée Khalid et à «saboter avec mesquinerie» son travail, a pesté le député libéral Randy Boissonnault.

Pendant le débat en Chambre, jeudi, la députée derrière M-103 a lu quelques-uns des messages haineux, islamophobes, racistes et misogynes qui lui ont été adressés depuis qu'elle a entrepris son combat.

Le vote sur la motion des conservateurs doit se tenir mardi prochain. Celui sur la motion libérale pourrait avoir lieu dans des semaines, voire des mois, car il s'agit d'une proposition d'initiative parlementaire.